Mon ancêtre, François Boulianne, fut l’un des 21 actionnaires de la Société des vingt-et-un qui fondèrent le Saguenay–Lac-Saint-Jean, au Québec. En fait, je suis le descendant à la 5e génération d’un cousin de François Boulianne. Il est le frère de Marie-Modeste, l’épouse de Alexis Tremblay dit Picoté, l’instigateur et promoteur de la Société des vingt-et-un. Tous les deux sont les arrière-petits-enfants de Jean-Marc de Bouillanne, l’ancêtre commun de tous les Boulianne en Amérique du Nord.
François est décédé à l’âge de 75 ans le 28 avril 1877, à Sainte-Agnès dans Charlevoix, au Québec. Son nom est gravé sur la plaque qui commémore la Société des Pinières du Saguenay, communément appelée la Société des vingt-et-un.
Les Vingt et un : Alexis Tremblay (Picoté), Louis Tremblay, Joseph Tremblay, Joseph Lapointe, Benjamin Gaudrault, Joseph Harvey, Pierre Boudrault, Michel Gagné, Basile Villeneuve, David Blackburn, François Boulianne, Ignace Murray, François Maltais, Ignace Couturier, Louis Desgagné, Louis Villeneuve, Alexis Simard, Thomas Simard, Georges Tremblay, Jean Harvey, Jérôme Tremblay.
La Société des vingt-et-un
En 1837, un groupe d’hommes de La Malbaie s’associe pour former une société d’exploitation forestière au Saguenay. Leur incursion sur un territoire jusque là fermé à la colonisation est considérée comme l’événement ayant permis le développement et l’implantation de colons dans la région.
Durant la première moitié du XIXe siècle, les raisons abondent pour coloniser les territoires peu exploités du Bas-Canada. D’une part, les terres de la vallée du Saint-Laurent sont surpeuplées. D’autre part, le blocus continental mis en place au cours des guerres napoléoniennes force le Royaume-Uni à se tourner vers ses colonies nord-américaines pour s’approvisionner en bois. L’impulsion impériale pousse alors les investisseurs à développer l’industrie forestière en encourageant la marche colonisatrice vers des territoires neufs.
Dans ces circonstances et face aux demandes populaires pour l’ouverture de nouvelles régions, l’Assemblée législative du Bas-Canada mandate, en 1828, une commission chargée de se renseigner sur le potentiel du territoire du Saguenay pour la colonisation. Le rapport des commissaires est clair : le sol du Saguenay est extrêmement fertile, le climat est propice à l’établissement de colons et la région regorge de forêts variées. À la suite de ce rapport, des pétitions sont signées dans Charlevoix, en 1829 et en 1835, afin que le Saguenay soit ouvert à la colonisation. Malgré les 250 signatures recueillies pour la première et les 1 800 pour la seconde, ces pétitions restent lettre morte.
Le principal obstacle au peuplement du Saguenay provient du monopole exercé par la Compagnie de la Baie d’Hudson. Détentrice des droits d’exploitation forestière de la région, elle ne souhaite pas que des colons s’y installent. En 1836, l’entreprise tente, sans succès, de mener elle-même les opérations. Devant cet échec, elle se résigne finalement, en 1837, à vendre sa licence à un groupe d’habitants de La Malbaie, à condition que ceux-ci consentent à limiter leurs activités à la coupe de bois. Sous le nom de la Société des Pinières du Saguenay, communément appelée la Société des vingt-et-un, ces habitants s’associent pour réunir le capital nécessaire à l’entreprise. La société est d’abord composée de 21 actionnaires, regroupés par Alexis Tremblay dit Picoté (époux de Marie-Modeste Boulianne, cousine d’un ancêtre à la 5e génération de Guy Boulianne) et représentés par Thomas Simard.
En 1838, la Société des vingt-et-un s’entend avec William Price, auprès de qui elle s’approvisionne en matériel et vend son bois. Ce dernier pourrait d’ailleurs être à la source de la création du regroupement. Au printemps, une équipe de 27 hommes dépêchés par la société s’installent notamment à L’Anse-Saint-Jean et à La Grande Baie, à compter du 11 juin. Rejoints progressivement par de nouvelles recrues, les sociétaires s’établissent à divers endroits où ils érigent neuf moulins à scie. Ce ne sont pas tous les associés qui participent à l’expédition; plusieurs d’entre eux ne viennent même jamais au Saguenay et leur contribution à l’entreprise n’est que pécuniaire.
Après une exploration de la forêt et de son potentiel, les colons construisent une première écluse sur la rivière Ha! Ha! puis, jusqu’au mois d’octobre de la même année, érigent le premier moulin à scier, jetant les bases de ce qui deviendra le secteur Grande-Baie. Les premières familles arrivent durant l’automne et l’exploitation du pin gris et du pin blanc débute dès 1839. Conséquemment, le potentiel hydraulique des deux principaux cours d’eau, Ha! Ha! et Rivière-à-Mars, ainsi que ceux des différents affluents de la baie, est exploité pour le fonctionnement de plusieurs moulins. En tout, une dizaine de scieries sont gérées par la société. De son côté, Mars Simard, de Baie-Saint-Paul, établit un moulin à la Rivière-à-Mars et crée un second foyer de peuplement dans la baie : Bagotville. Les colons de Baie-Saint-Paul viennent s’y installer tandis que ceux de La Malbaie préfèrent Grande-Baie qui compte 110 habitants en 1839.
De 1838 à 1842, malgré les limitations imposées par la Compagnie de la Baie d’Hudson, des engagés de la Société des vingt-et-un et leur famille se mettent à défricher des terres et à s’y installer. Les efforts de la compagnie pour les déloger s’avèrent vains. En 1842, lors du renouvellement du bail de la Compagnie de la Baie d’Hudson pour l’exploitation du Saguenay, le gouvernement modifie les termes du contrat et place les terres agricoles aux enchères, ce qui met un terme à la clandestinité des colons. La colonisation de ces territoires neufs est dorénavant permise. C’est donc l’arrivée de la Société des vingt-et-un qui érode la résistance à la colonisation et marque le début des établissements permanents dans le Saguenay.
La fin du bail d’exclusivité de la Compagnie de la Baie d’Hudson entraîne la colonisation légale du Saguenay. Le territoire se structure et l’on procède à l’arpentage du tout nouveau canton Bagot (en l’honneur de sir Charles Bagot) et au découpage du chef-lieu du nouveau comté et c’est l’arpenteur Jean-Baptiste Duberger qui est chargé de cette tâche. Il a également à tracer un chemin (qui deviendra le boulevard Saint-Jean-Baptiste et le boulevard Grande-Baie Nord) jusqu’à Chicoutimi durant l’été de 1842.
Dès 1841, la Société des Vingt et un connaît des difficultés financières causées par la perte de deux années de coupe à la suite de ruptures d’estacades en 1840 et 1841. Leur principal acheteur, William Price, acquiert toutes les parts de la compagnie en 1842 et se porte acquéreur du moulin de Mars Simard en 1843. À cette époque, William Price and Company devient propriétaire de toutes les scieries du Bas-Saguenay.
L’arrivée de la Société des vingt-et-un au Saguenay est le premier évènement historique désigné par le Ministère de la Culture et des Communications, le 6 juin 2013. Le 11 juin 2013, soit 175 ans après l’arrivée de la Société des vingt-et-un au Saguenay, une cérémonie protocolaire a lieu au pied du monument de la Société des vingt-et-un à Grande-Baie.
« Le rêve de fonder une république libre et démocratique sur les rives du Saint-Laurent s’érige lentement à compter de 1810 et culmine lors des rébellions de 1837-1838. Suite à la répression et au Rapport Durham, toute une génération doit renoncer à ce projet pour désormais assurer la survivance. Dans la seconde partie du siècle, le rêve brisé des Patriotes est donc supplanté par un nouvel imaginaire national, consistant à « s’emparer du sol » et à coloniser le Nord. Ce ne serait donc pas une coïncidence si, au moment même où les Patriotes sont battus au sud du Québec, on fonde à La Malbaie la Société des Vingt et un pour entreprendre la colonisation d’une région mythique, le Saguenay. Reconnu dès l’époque de Jacques Cartier, le Saguenay devient alors le symbole de cette entreprise de salut national consistant à défricher et à mettre en valeur les vallées du Bouclier canadien et au moins offrir aux Canadiens français un territoire où leur langue et leurs coutumes pourront se perpétuer ».
— Gilles Laporte, historien et président du Mouvement national des Québécois
Cet événement historique du Québec a été désigné par le ministre de la Culture et des Communications le 6 juin 2013 pour les motifs suivants :
L’arrivée de la Société des Vingt-et-Un au Saguenay est un événement déterminant pour la colonisation et le développement de cette région. Formée en 1837 par un groupe d’habitants de La Malbaie, la Société des Vingt-et-Un obtient une licence de coupe de bois de la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui est alors détentrice d’un monopole d’exploitation de la région. À compter du 11 juin 1838, les colons dépêchés par la société s’installent notamment à L’Anse-Saint-Jean et à La Grande Baie. Au cours des années suivantes, malgré les limitations imposées par la Compagnie de la Baie d’Hudson, de nouveaux engagés s’établissent dans la région et défrichent les terres. En 1842, lors du renouvellement du bail de la Compagnie de la Baie d’Hudson pour l’exploitation du Saguenay, le gouvernement du Canada-Uni modifie les termes du contrat et place les terres agricoles aux enchères, ce qui met un terme à la clandestinité des colons. C’est donc l’arrivée de la Société des Vingt et Un qui a érodé la résistance à la colonisation et marqué la naissance de plusieurs villes et villages du Saguenay–Lac-Saint-Jean.
RÉFÉRENCES :
- Arthur Buies : Le Saguenay et la vallée du lac St. Jean. Étude historique, géographique, industrielle et agricole. Imprimerie de A. Côté et Cie, 1880, page 86.
- Éric Tremblay : La Société des Vingt-et-Un et la colonisation duSaguenay–Lac-Saint-Jean. La relève dans les organismes en patrimoine. Volume 19, numéro 1, 2013.
- Andrée Anne Duchesne : La Société des Vingt-et-un devient officiellement un événement historique. Le Journal de Québec, 11 juin 2013.
- Félix Lafrance : Les débuts de la colonisation – Une terre promise ouverte aux agriculteurs et aux industries. Le Journal de Québec, 17 mars 2013.
- Normande Lapointe : Le capitalisme narchand au Saguenay-Lac-Saint-Jean: John Guay (1828-1880), négociant et propriétaire foncier. Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Septembre 1996.
- Mgr Cyprien Tanguay : Répertoire général du clergé canadien, par ordre chronologique depuis la fondation de la colonie jusqu’à nos jours, Montréal : Eusèbe Senécal & fils, imprimeurs-éditeurs, xiii, 526, xlvi p.
- Gérard Bouchard et Marc De Braekeleer : « Pourquoi les maladies héréditaires ? Population et génétique au Saguenay-Lac Saint-Jean ». Sillery, Septentrion, 1992, pp. 61-62.