Mgr Carlo Maria Vigano s’exprime sur le Concile Vatican II (traduction autorisée)

« Il est étonnant que l’on persiste à ne pas vouloir enquêter sur les causes profondes de la crise actuelle, se limitant à déplorer les excès d’aujourd’hui comme s’ils n’étaient pas la conséquence logique et inévitable d’un plan orchestré il y a plusieurs décennies. » — Mgr Carlo Maria Viganò


[Jeanne Smits]C’est avec plaisir que nous publions ci-dessous la version française révisée, modifiée et autorisée par Mgr Carlo Maria Viganò de son Excursus sur Vatican II sur chiesa et postconcilio, à la suite de la publication par LifeSiteNews d’un texte de Mgr Athanasius Schneider (version française ici) au début du mois de juin sur le thème du Document d’Abu Dhabi et du concile Vatican II.
N’ayant pas eu nous-même le temps de faire la traduction du texte ci-dessous, nous signalons que c’est la version française publiée par le site benoit-et-moi qui a été utilisée en vue de la révision par Mgr Viganò. Nous remercie « benoit-et-moi » par la même occasion.
Voilà que les « discussions doctrinales » sur la liberté religieuse prennent le devant de la scène, là où on ne les attendait peut-être pas… Plus que jamais d’actualité !
Et la crise que traverse l’Eglise aujourd’hui en est une conséquence directe. L’herméneutique de la continuité n’est plus tenable. L’acte d’accusation très sévère de celui qui est devenu le principal « lanceur d’alerte » contre les dérives actuelles, et qui admet « après le Concile, je me suis trompé, comme beaucoup, en toute bonne foi ».

Un prélat conciliaire découvre l’Église éclipsée et l’imposture maçonnique Bergoglienne

J’ai lu avec grand intérêt le texte de S.E. Athanasius Schneider publié dans LifeSiteNews le 1er juin dernier et intitulé There is no divine positive will or natural right to the diversity of religions [la diversité des religions n’est pas le résultat d’un vouloir divin positif ni l’objet d’un droit naturel, NdT]. L’étude de Son Excellence résume, avec la clarté qui distingue les paroles de celui qui parle selon le Christ, les objections sur la prétendue légitimité de l’exercice de la liberté religieuse que le Concile Vatican II a théorisée, contredisant le témoignage de la Sainte Écriture, la voix de la Tradition et le Magistère catholique qui est le fidèle gardien de l’une et de l’autre.

Le mérite de ce texte réside tout d’abord dans le fait d’avoir su saisir le lien de causalité entre les principes énoncés ou sous-entendus par Vatican II et l’effet logique qui en résulte dans les déviations doctrinales, morales, liturgiques et disciplinaires qui sont apparues et se sont progressivement développées jusqu’à ce jour. Le monstrum engendré dans les cercles modernistes pouvait d’abord être trompeur, mais en se développant et en se renforçant, il se montre aujourd’hui pour ce qu’il est vraiment, dans sa nature subversive et rebelle. La créature, alors conçue, est toujours la même et il serait naïf de penser que sa nature perverse puisse changer. Les tentatives visant à corriger les excès du Concile — en invoquant l’herméneutique de la continuité — ont abouti à une faillite : Naturam espellas furca, tamen usque recurret (Épître d’Horace. I,10,24) [Chassez le naturel, il revient au galop]. La Déclaration d’Abou Dhabi et, comme le fait remarquer à juste titre Mgr Schneider, ses prodromes du panthéon d’Assise, « a été conçue dans l’esprit du Concile Vatican II » comme le confirme fièrement Bergoglio.

Cet « esprit du Concile » est le certificat de légitimité que les novateurs opposent aux critiques, sans se rendre compte que c’est précisément en confessant cet héritage, que se confirme non seulement le caractère erroné des déclarations actuelles, mais aussi la matrice hérétique qui les justifierait. À y regarder de plus près, jamais dans la vie de l’Église il n’y a eu un Concile qui ait représenté un événement historique au point de le rendre différent des autres : il n’y a jamais eu « l’esprit du Concile de Nicée », ni « l’esprit du Concile de Ferrare-Florence », et encore moins « l’esprit du Concile de Trente », tout comme il n’y a jamais eu de « post-Concile » après Latran IV ou Vatican I.

La raison en est évidente : ces conciles étaient tous, sans distinction, l’expression de la voix à l’unisson de la Sainte Mère l’Église, et pour cela même de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est significatif que ceux qui soutiennent la nouveauté de Vatican II adhèrent également à la doctrine hérétique qui voit le Dieu de l’Ancien Testament opposé au Dieu du Nouveau, presque comme s’il pouvait y avoir une contradiction entre les Personnes Divines de la Très Sainte Trinité. Il est évident que cette opposition presque gnostique ou kabbalistique sert à légitimer un nouveau sujet délibérément différent et opposé à l’Église catholique. Les erreurs doctrinales trahissent presque toujours aussi une hérésie trinitaire, et c’est donc en revenant à la proclamation du dogme trinitaire que les doctrines qui s’y opposent peuvent être vaincues : ut in confessione veræ sempiternæque deitatis, et in Personis proprietas, et in essentia unitas, et in majestate adoretur æqualitas. Professant la divinité véritable et éternelle, nous adorons le caractère propre des Personnes divines, l’unité dans leur essence, l’égalité dans leur majesté.

Mgr Schneider cite plusieurs canons des Conciles œcuméniques qui, selon lui, proposent des doctrines difficiles à accepter aujourd’hui, comme l’obligation de reconnaître les juifs par leurs vêtements, ou l’interdiction pour les chrétiens d’être les serviteurs de maîtres mahométans ou juifs. Parmi ces exemples, il y a aussi la nécessité de la traditio instrumentorum déclarée par le Concile de Florence, corrigée par la suite par la Constitution apostolique Sacramentum Ordinis de Pie XII. L’évêque Athanasius commente : « On peut légitimement espérer et croire qu’un futur pape ou concile œcuménique corrigera les déclarations erronées faites » par Vatican II. Cela me semble être un argument qui, même avec les meilleures intentions, sape les fondations de l’édifice catholique. Si, en effet, nous admettons qu’il puisse y avoir des actes magistériels qui, en raison d’une sensibilité modifiée, sont susceptibles d’être abrogés, modifiés ou interprétés différemment au fil du temps, nous tombons inexorablement sous la condamnation du décret Lamentabili et nous finissons par être d’accord avec ceux qui, récemment, précisément sur la base de cette hypothèse erronée, ont déclaré « non conforme à l’Évangile » la peine de mort, allant jusqu’à modifier le Catéchisme de l’Église catholique.

Et d’une certaine manière, nous pourrions, par le même principe, croire que les paroles du bienheureux Pie IX dans Quanta cura ont été en quelque sorte corrigées précisément par Vatican II, tout comme Son Excellence espère que cela puisse se produire pour Dignitatis humanæ. Parmi les exemples qu’il a donnés, aucun n’est en soi gravement erroné ou hérétique : le fait d’avoir déclaré la traditio instrumentorum nécessaire à la validité de l’Ordre n’a en aucun cas compromis le ministère sacerdotal dans l’Église, l’amenant à conférer des Ordres invalidement. Il ne me semble pas non plus que cet aspect, aussi important soit-il, ait insinué des doctrines erronées chez les fidèles, ce qui n’est arrivé qu’avec le dernier Concile. Et lorsque, au cours de l’histoire, les hérésies se sont répandues, l’Église est toujours intervenue promptement pour les condamner, comme cela s’est produit au moment du Concile de Pistoia en 1786, qui a été en quelque sorte le précurseur de Vatican II, surtout lorsqu’il a aboli la communion en dehors de la Messe, introduit la langue vernaculaire et supprimé les prières au bas de l’autel du Canon de la Messe; mais plus encore lorsqu’il a théorisé les bases de la collégialité épiscopale, en limitant la primauté du Pontife à la seule fonction ministérielle. En relisant les actes de ce Synode, on s’étonne de la formulation minutieuse des erreurs que l’on retrouvera ensuite, voire davantage, dans le Concile présidé par Jean XXIII et Paul VI. D’autre part, de même que la Vérité puise en Dieu, ainsi l’erreur se nourrit chez l’Ennemi, qui déteste l’Église du Christ et son cœur, la Sainte Messe et la Très Sainte Eucharistie.

Il arrive un moment dans notre vie où, par disposition de la Providence, un choix décisif pour l’avenir de l’Église et pour notre salut éternel se présente à nous. Je parle du choix entre comprendre l’erreur dans laquelle nous sommes tous tombés, et presque toujours sans mauvaises intentions, et continuer à se détourner ou à se justifier.

Nous avons, entre autres erreurs, commis aussi celle de considérer nos interlocuteurs comme des personnes qui, malgré la diversité des idées et de la foi, étaient néanmoins animées de bonnes intentions, et qui, au cas où elles réussiraient à s’ouvrir à notre Foi, seraient prêtes à corriger leurs erreurs. Avec de nombreux Pères du Concile, nous avons pensé l’œcuménisme comme un processus, une invitation appelant les dissidents à l’unique Église du Christ ; les idolâtres et les païens au seul vrai Dieu ; le peuple juif au Messie promis. Mais, à partir du moment où il a été théorisé dans les commissions du Concile, il s’est configuré en nette opposition à la doctrine jusqu’alors exprimée dans le Magistère. Nous avons pensé que certains excès n’étaient qu’une exagération de celui qui s’était laissé prendre par l’enthousiasme de la nouveauté ; nous avons sincèrement pensé que le fait de voir Jean-Paul II entouré de marabouts, de bonzes, d’imams, de rabbins, de pasteurs protestants et d’autres hérétiques donnait la preuve de la capacité de l’Église à rassembler les gens pour invoquer la paix auprès de Dieu, alors que l’exemple d’un geste faisant autorité donnait lieu à une suite déviante de panthéons plus ou moins officiels, jusqu’à voir l’idole impure de la Pachamama portée sur leurs épaules par plusieurs évêques, sacrilégement dissimulée sous l’apparence présumée d’une maternité sacrée. Mais si le simulacre d’une divinité infernale a pu entrer à Saint-Pierre, cela fait partie d’un crescendo que la partition avait prévu dès le début. Un grand nombre de catholiques pratiquants, et peut-être même la plupart des clercs eux-mêmes, sont aujourd’hui convaincus que la foi catholique n’est plus nécessaire pour le salut éternel ; on croit que le Dieu Un et Trine révélé à nos pères est le même dieu que celui de Mahomet. Nous l’avons entendu répéter depuis les chaires et les évêchés il y a vingt ans déjà, mais récemment nous l’avons entendu affirmer avec insistance même depuis le Trône le plus élevé.

Nous savons bien que, renforcés par l’adage paulinien Littera enim occidit, spiritus autem vivificat, les progressistes et les modernistes ont su habilement cacher dans les textes du Concile ces ambiguïtés, qui à l’époque semblaient inoffensives pour la plupart des gens, mais qui aujourd’hui se manifestent dans leur valeur subversive. C’est la méthode du subsistit in : dire une demi-vérité non pas tant pour ne pas offenser l’interlocuteur (en supposant qu’il soit licite de taire la vérité de Dieu par respect pour l’une de ses créatures), mais dans le but de pouvoir utiliser la demi erreur que l’entière vérité dissiperait instantanément. Ainsi, « Ecclesia Christi subsistit in Ecclesia Catholica » ne précise pas l’identité des deux, mais la subsistance de l’une dans l’autre et, par cohérence, également dans d’autres églises : c’est l’ouverture aux célébrations inter-ecclésiales, aux prières œcuméniques, à la fin inexorable de la nécessité de l’Église pour le salut, de son unicité, de sa nature missionnaire.

Certains se souviendront peut-être que les premières rencontres œcuméniques ont eu lieu avec les schismatiques d’Orient, et très prudemment avec certaines sectes protestantes. À part l’Allemagne, la Hollande et la Suisse, les pays de tradition catholique n’ont pas accueilli dès le début les célébrations mixtes, avec des pasteurs et des curés ensemble. Je me souviens qu’à l’époque, il était question de supprimer l’avant-dernière doxologie du Veni Creator afin de ne pas heurter les orthodoxes, qui n’acceptaient pas le Filioque. Aujourd’hui, nous entendons les sourates du Coran récitées depuis les chaires de nos églises, nous voyons des religieux, frères et sœurs vénérer une idole en bois, nous entendons des évêques confesser ce qui, jusqu’à hier, nous semblait être les excuses les plus plausibles de nombreux extrémismes.

Ce que le monde veut, à l’instigation de la franc-maçonnerie et de ses tentacules infernaux, c’est créer une religion universelle, humanitaire et œcuménique, dans laquelle ce Dieu jaloux que nous adorons est banni. Et si c’est ce que le monde veut, toute démarche dans la même direction de la part de l’Église est un choix malheureux, qui se retournera contre ceux qui croient pouvoir se moquer de Dieu. Les espoirs de la Tour de Babel ne peuvent pas être ramenés à la vie par un plan mondialiste qui vise à effacer l’Église catholique, à la remplacer par une confédération d’idolâtres et d’hérétiques unis par l’environnement et la fraternité humaine. Il ne peut y avoir de fraternité qu’en Christ, et seulement dans le Christ : qui non est mecum, contra me est.

Il est déconcertant que peu de gens soient conscients de cette course vers l’abîme, et que peu de gens soient conscients de la responsabilité des dirigeants de l’Église à soutenir ces idéologies anti-chrétiennes, comme s’ils voulaient se garantir un espace et un rôle sur le char de la pensée unique. Et il est étonnant que l’on persiste à ne pas vouloir enquêter sur les causes profondes de la crise actuelle, se limitant à déplorer les excès d’aujourd’hui comme s’ils n’étaient pas la conséquence logique et inévitable d’un plan orchestré il y a plusieurs décennies. Si la Pachamama a pu être vénérée dans une église, nous le devons à Dignitatis humanae. Si nous avons une liturgie protestante et parfois même paganisée, nous le devons aux actions révolutionnaires de l’évêque Annibale Bugnini et aux réformes post-conciliaires. Si nous avons signé le document d’Abou Dhabi, nous le devons à Nostra Aetate. Si nous en sommes arrivés à déléguer des décisions aux conférences épiscopales — même en violation très grave du Concordat, comme cela s’est produit en Italie — nous le devons à la collégialité, et à sa version actualisée dans la synodalité. Grâce à ce processus synodale nous nous sommes retrouvés avec Amoris Laetitia à devoir chercher un moyen d’éviter ce qui était évident pour tout le monde, à savoir que ce document, préparé par une impressionnante machine organisationnelle, devait légitimer la Communion pour les divorcés et les concubins, tout comme Querida Amazonia devait servir de légitimation pour les femmes prêtres (voir le cas très récent d’une « vicaire épiscopal » à Fribourg) et l’abolition du Saint Célibat. Les prélats qui ont envoyé les Dubia à François ont, à mon avis, fait preuve de la même pieuse naïveté : penser que face à la contestation argumentée de l’erreur, Bergoglio comprendrait, corrigerait les points hétérodoxes et demanderait pardon.

Le Concile a été utilisé pour légitimer, dans le silence de l’Autorité, les déviations doctrinales les plus aberrantes, les innovations liturgiques les plus audacieuses et les abus les plus éhontés. Ce Concile a été tellement exalté qu’il a été indiqué comme la seule référence légitime pour les catholiques, les clercs et les évêques, obscurcissant et connotant avec un sentiment de mépris la doctrine que l’Église avait toujours enseignée avec autorité, et interdisant la liturgie pérenne qui, pendant des millénaires, avait nourri la foi d’une génération ininterrompue de fidèles, de martyrs et de saints. Entre autres choses, ce Concile s’est avéré être le seul à poser autant de problèmes d’interprétation et à présenter autant de contradictions par rapport au Magistère précédent, alors qu’il n’y en a pas un — du Concile de Jérusalem à Vatican I — qui ne s’harmonise pas parfaitement avec l’ensemble du Magistère et qui nécessite quelques interprétations.

Je l’avoue avec sérénité et sans polémique : j’ai été l’un de ceux qui, malgré de nombreuses perplexités et craintes, qui s’avèrent aujourd’hui tout à fait légitimes, ont placé leur confiance dans l’autorité de la Hiérarchie avec une obéissance inconditionnelle. En réalité, je pense que beaucoup, et moi parmi eux, n’ont pas initialement envisagé la possibilité d’un conflit entre l’obéissance à un ordre de la Hiérarchie et la fidélité à l’Église elle-même. Ce qui a rendu tangible la séparation contre-nature, voire perverse, entre la Hiérarchie et l’Église, entre l’obéissance et la fidélité, c’est certainement ce dernier pontificat.

Dans la « chambre des larmes » adjacente à la Sixtine, alors que l’évêque Guido Marini prépare le rochet, la mozette et l’étole pour la première apparition du pape « nouvellement élu », Bergoglio s’exclama : « Le carnaval est terminé ! », rejetant avec dédain les insignes que tous les papes avaient jusqu’alors humblement acceptés comme distinctives du Vicaire du Christ. Mais il y avait quelque chose de vrai dans ces mots, même s’ils étaient prononcés involontairement : le 13 mars 2013, le masque des conspirateurs est tombé, enfin libérés de la présence gênante de Benoît XVI et fiers d’avoir enfin réussi à promouvoir un cardinal qui incarnait leurs idéaux, leur façon de révolutionner l’Église, de rendre sa doctrine dépassable, sa morale adaptable, sa liturgie adultérable, sa discipline abrogeable. Et tout cela a été considéré, par les protagonistes du complot eux-mêmes, comme la conséquence logique et l’application évidente de Vatican II, selon eux affaibli précisément par les critiques exprimées par Benoît XVI lui-même.

Le plus grand affront de son pontificat a été la libéralisation de la vénérable liturgie tridentine, à laquelle la légitimité a finalement été reconnue, niant cinquante ans d’ostracisme illégitime. Ce n’est pas un hasard si les partisans de Bergoglio sont les mêmes qui voient dans le Concile le premier événement d’une nouvelle église, avant laquelle il y avait une ancienne religion avec une ancienne liturgie. Ce n’est pas un hasard : ce qu’ils affirment impunément, suscitant le scandale des modérés, c’est ce que les catholiques croient aussi, à savoir que malgré toutes les tentatives d’herméneutique de la continuité misérablement anéanties lors de la première confrontation avec la réalité de la crise actuelle, il est indéniable que depuis Vatican II, une église parallèle s’est formée, superposée et opposée à la véritable Église du Christ. Elle a progressivement occulté l’institution divine fondée par Notre Seigneur pour la remplacer par une entité fallacieuse, correspondant à la religion universelle souhaitée, dont la Franc-maçonnerie a été le premier théoricien. Des expressions comme nouvel humanisme, fraternité universelle, dignité humaine sont les mots d’ordre d’un humanitarisme philanthropique qui nie le vrai Dieu, d’une solidarité horizontale d’inspiration vague et spiritualiste, et d’un irénisme œcuménique que l’Église condamne sans appel. « Nam et loquela tua manifestum te facit » (Mt 26, 73) : ce recours très fréquent, presque obsessionnel, au même vocabulaire que l’ennemi, trahit l’adhésion à l’idéologie dont il s’inspire; inversement, le renoncement systématique au langage clair, sans équivoque et cristallin propre à l’Église, confirme la volonté de se détacher non seulement de la forme catholique, mais aussi de sa substance.

Ce que nous entendons depuis des années, de façon vague et sans connotations claires, de la plus haute Chaire, nous le trouvons ensuite élaboré dans un véritable manifeste chez les partisans du présent Pontificat : la démocratisation de l’Église par le biais non plus de la collégialité inventée par Vatican II, mais de la voie synodale inaugurée au Synode pour la Famille; la démolition du sacerdoce ministériel par son affaiblissement, avec les exceptions au célibat ecclésiastique et l’introduction de figures féminines aux fonctions quasi-sacerdotales; le passage silencieux de l’œcuménisme visant les frères séparés à une forme de pan-œcuménisme qui abaisse la Vérité du Dieu Un et Trine au niveau des idolâtries et des superstitions les plus infernales; l’acceptation d’un dialogue interreligieux qui présuppose le relativisme religieux et exclut l’annonce missionnaire; la démythisation de la papauté, poursuivie par Bergoglio lui-même en tant que marque du pontificat; la légitimation progressive du politiquement correct: théorie du genre, (gender) sodomie, mariages homosexuels, doctrines malthusiennes, écologisme, immigrationnisme… Ne pas reconnaître les racines de ces déviations dans les principes fixés par le Concile rend toute guérison impossible : si le diagnostic s’obstine contre l’évidence à exclure la pathologie initiale, il ne peut formuler une thérapie adaptée.

Cette opération d’honnêteté intellectuelle exige une grande humilité, tout d’abord pour reconnaître que nous avons été induits en erreur pendant des décennies, en toute bonne foi, par des personnes qui, constituées en autorité, n’ont pas su veiller et garder le troupeau du Christ : certains pour vivre tranquilles, d’autres par excès d’engagements, d’autres par commodité, d’autres enfin par mauvaise foi ou même par malice. Ces derniers, qui ont trahi l’Église, doivent être identifiés, repris, invités à s’amender et, s’ils ne se repentent pas, jetés hors de l’enceinte sacrée. Ainsi agit un vrai berger, qui prend soin de la santé des brebis et donne sa vie pour elles ; nous avons eu et nous avons encore trop de mercenaires, pour qui le consensus des ennemis du Christ est plus important que la fidélité à son Épouse.

Tout comme j’ai obéi honnêtement et sereinement à des ordres douteux il y a soixante ans, croyant qu’ils représentaient la voix aimante de l’Église, de même aujourd’hui, avec autant de sérénité et d’honnêteté, je reconnais que je me suis laissé tromper. Être cohérent aujourd’hui en persévérant dans l’erreur serait un choix malheureux et ferait de moi un complice de cette fraude. Prétendre dès le départ à une clairvoyance de jugement ne serait pas honnête : nous savions tous que le Concile serait plus ou moins une révolution, mais nous ne pouvions pas imaginer qu’il s’avérerait si dévastateur, même pour ceux qui étaient censés l’empêcher. Et si jusqu’à Benoît XVI on pouvait encore imaginer que le coup d’État de Vatican II (que le cardinal Suenens a appelé le 1789 de l’Église) avait ralenti, ces dernières années même les plus naïfs d’entre nous ont compris que le silence, par crainte de provoquer un schisme, la tentative d’ajuster les documents pontificaux au sens catholique pour remédier à l’ambiguïté souhaitée, les appels et les doutes adressés à François, éloquemment laissés sans réponse, sont une confirmation de la situation d’apostasie très grave à laquelle sont exposés les dirigeants de la Hiérarchie, alors que le peuple chrétien et le clergé se sentent irrémédiablement écartés et considérés presque avec agacement par l’épiscopat.

La Déclaration d’Abu Dhabi est le manifeste idéologique d’une idée de paix et de coopération entre les religions qui pourrait être tolérée si elle émanait des païens, privés de la lumière de la Foi et du feu de la Charité. Mais ceux qui ont la grâce d’être enfants de Dieu, en vertu du Saint Baptême, devraient être horrifiés à l’idée même de pouvoir construire une tour de Babel blasphématoire dans une version moderne, en essayant d’assembler l’unique vraie Église du Christ, héritière des promesses du Peuple élu, avec ceux qui nient le Messie et avec ceux qui considèrent blasphématoire la seule idée d’un Dieu Trine. L’amour de Dieu ne connaît aucune mesure et ne tolère aucun compromis, sinon ce n’est tout simplement pas la Charité, sans laquelle il n’est pas possible de rester en Lui : qui manet in caritate, in Deo manet, et Deus in eo (1Jn 4,16). Peu importe qu’il s’agisse d’une déclaration ou d’un document magistériel : nous savons très bien que la mens subversive des novateurs joue sur ces mêmes détails pour répandre l’erreur. Et nous savons très bien que le but de ces initiatives œcuméniques et interreligieuses n’est pas de convertir au Christ ceux qui sont loin de l’unique Église, mais de tromper et de corrompre ceux qui conservent encore la Foi catholique, les amenant à considérer comme souhaitable une grande religion universelle qui rassemblerait « dans une seule maison » les trois grandes religions abrahamiques : c’est le triomphe du plan maçonnique en préparation du règne de l’Antéchrist ! Il importe peu que cela se concrétise sous la forme d’une bulle dogmatique, d’une déclaration ou d’une interview de Scalfari sur La Repubblica, car les paroles de Bergoglio sont attendues par ses soutiens comme un signal, auquel on répond par une série d’initiatives déjà préparées et organisées depuis longtemps. Et si Bergoglio ne s’en tient pas aux indications reçues, des légions de théologiens et de clercs sont déjà prêts à se plaindre de la « solitude du pape François », comme prémisse à sa démission (je pense, par exemple, à Massimo Faggioli dans un de ses récents écrits). D’autre part, ce ne serait pas la première fois qu’ils utilisent le pape lorsqu’il suit leurs plans, et qu’ils se débarrassent de lui ou l’attaquent dès qu’il s’en éloigne.

L’Église a célébré la Très Sainte Trinité dimanche dernier et propose dans le Bréviaire la récitation du Symbolum Athanasianum, désormais proscrite par la liturgie conciliaire et déjà limitée à deux occasions seulement dans la réforme de 1962. Les premiers mots de ce Symbole aujourd’hui disparu restent gravés en lettres d’or : « Quicumque vult salvus esse, ante omnia opus est ut teneat Catholicam Fidem ; quam nisi quisque integram inviolatamque servaverit, absque dubio in aeternum peribit » [Quiconque veut être sauvé doit, avant tout, tenir la Foi Catholique: s’il ne la garde pas entière et pure, il périra sans aucun doute pour l’éternité].

Mgr Carlo Maria Viganò (signature)

+ Carlo Maria Viganò, 9 juin 2020
Archevêque titulaire d’Ulpiana
Ancien Nonce Apostolique aux États-Unis d’Amérique

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RÉFÉRENCES :

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En tant qu’auteur et chroniqueur indépendant, Guy Boulianne est membre du réseau d’auteurs et d’éditeurs AuthorsDen et de la Nonfiction Authors Association (NFAA) aux États-Unis. Il adhère à la Charte d’éthique mondiale des journalistes de la Fédération internationale des journalistes (FJI).

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