Il y a déjà plus de vingt-trois ans, je pris connaissance pour la toute première fois de l’existence d’une comédie en 1 acte, en prose, intitulée “Catherine Bouliane”, et ceci en lisant l’étude historique et critique de André Lacroix concernant les Bouillane et les Richaud (publiée en 1878) [1] Alors qu’il parlait des membres de la famille de Bouillanne, l’historien écrivait cette courte phrase : « L’auteur de la comédie en prose intitulée Catherine de Bouillane en met aussi à Omblèze et le dépouillement des archives communales en révèlera bien d’autres encore. »
C’est alors toute l’information que j’avais à ce moment. À l’époque je fis quelques recherches pour retrouver une trace de cette comédie en 1 acte, mais aucune archive en ligne n’était disponible nulle part, ni même à la Bibliothèque nationale de France. Et il en demeura ainsi jusqu’à tout récemment.
En effet, le 10 juin 2022, j’ai contacté la BnF afin de commander la numérisation de ce document d’une rareté indéniable. Grâce à cette démarche, la comédie en 1 acte, en prose intitulée “Catherine Bouliane”, a été mise en ligne le 10 juillet suivant sous l’identifiant : ark:/12148/cb332886998. Publiée sous le pseudonyme de Madame C*** de T***, ce document exceptionnel est désormais à la disposition des historiens et des chercheurs, dont les membres de l’Association des Richaud et des Bouillanne, en France. Vous trouverez ci-dessous un long extrait de cette monographie imprimée.
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André Lacroix : « Les Bouillane et les Richaud » (étude historique et critique), pp. 20-21. In: “Le Bulletin de la société d’archéologie et de statistique de la Drôme”, tome XII. Au secrétariat de la société (Valence) 1878, pp. 305-306.
« Catherine Bouliane », par Mme C* de T*
► Comédie en 1 acte, en prose (1865) — Extrait
SCÈNE XIV — La Marquise, David Rigaud, Le chevalier, entrant suivi de Jullien.
LE CHEVALIER,
Ma chère tante, pardonnez-moi, je vais partir… J’irai me jeter aux genoux de mon père… je l’implorerai… il me verra fou, et comprendra que le seul moyen de guérir ma folie, c’est de m’autoriser à épouser Catherine : je ne puis vivre sans elle… Ne me repoussez pas… Dois-je dire à mon père que vous êtes impitoyable ?…
LA MARQUISE.
Si un éclair de raison pouvait traverser votre cerveau en ce moment, vous comprendriez, mon cher chevalier, qu’il est tout naturel que je m’oppose à cette mésalliance. Comment ! un d’Aubignan épouserait Catherine, la fille de maître Pierre !!
DAVID RIGAUD, souriant.
Eh ! eh! la fille de maître Pierre, un des nobles de cette province. Non, madame la marquise, il n’y aurait pas de mésalliance.
(Étonnement général.)
LA MARQUISE, stupéfaite.
Mais comment cela ? Expliquez-vous, monsieur Rigaud.
DAVID RIGAUD.
Vous vous rappelez qu’il y a quelques années, eut lieu, dans cette même galerie, une réunion des gentilshommes de la province, à la suite de laquelle M. le gouverneur fut nommé délégué de la noblesse à l’assemblée de Saint-Marcellin… Il se trouvait à cette réunion, au milieu des représentants des plus nobles familles du Dauphiné, un simple paysan, venu à pied, le bâton à la main, des montagnes du pays de Quint : c’était le père de Catherine.
LA MARQUISE, rappelant ses souvenirs.
M. Pierre Bouliane, en effet…
DAVID RIGAUD.
Ces Bouliane sont nobles ; ils ont été anoblis par le roi Louis XI, pendant son séjour dans notre province. N’étant encore que Dauphin, il fut attaqué par un ours au milieu d’une forêt ; il ne dut son salut qu’au courage de deux habitants de là vallée de Quint, Bertrand Bouliane et Claude Richaud, qui, lui aussi, reçut des lettres de noblesse… Cette famille est nombreuse, c’est presque une tribu ; elle cultive ses terres et vit du fruit de son travail… Pierre est le chef de cette famille honorable : il n’est guère connu que sous le nom de maître Pierre dans la contrée qu’il habite. Là, il vit content de son sort ; le labeur est rude, mais il a de nombreux enfants pour lui venir en aide. Rien ne fait deviner, dans sa modeste demeure, sa noble origine ; ses parchemins reposent au fond de quelque vieux bahut, et ses armoiries, des armes parlantes qui rappellent le fait pour lequel elles ont été octroyées (D’azur à la patte d’ours d’or, mise en bande), et qui feraient une bien triste figure sur ses meubles vermoulus, n’apparaissent nulle part; aussi, quand par hasard un grand seigneur, égaré dans une partie de chasse, entre dans cette chaumière pour y demander l’hospitalité, il ne peut se douter que maître Pierre aurait le droit de le traiter en égal…
LA MARQUISE.
Vous me rappelez des faits qui, au moment de la réunion pour l’élection d’un délégué de la noblesse, occupèrent tous les esprits et que je n’ai pas oubliés ; personne ne put voir alors, sans émotion, le chef de la noble famille Bouliane venir prendre place, dans le simple costume des paysans dé nos montagnes, au milieu des plus riches seigneurs du Dauphiné ; par une courtoisie bien naturelle, tous les honneurs furent pour lui, chacun était jaloux de donner des preuves de son estime à un homme qui sait supporter, avec tant de dignité, la mauvaise fortune. (Un laquais viens parler bas à Jullien et se retire.)
JULLIEN, s’avançant.
Madame la marquise, la chaise de poste est prête, elle entre dans la cour de l’hôtel.
LE CHEVALIER, à la marquise.
Il faut donc que je parte. vous l’ordonnez.
LA MARQUISE.
Non, vous ne partirez pas. (A Jullien.) Jullien il faut vous rendre, sans perdre de temps, au village d’Omblèze, vous mettrez ma voiture à la disposition de M. Pierre Bouliane pour l’amener ici, en lui disant que j’ai le désir de le voir le plus tôt possible. (Jullien s’incline et sort.) Tout s’arrange à souhait pour vous, chevalier. Puisque (Catherine appartient à une famille anoblie déjà depuis deux siècles, je crois pouvoir être sûre du consentement de votre père ; quant à moi, je suis toute disposée embrasser ma nièce de bon cœur… mais obtenez de votre cousine Diane le pardon des torts que vous avez eus envers elle. (Avec un air de reproche.) Car en vérité… (Le chevalier s’approche d’elle et lui baise la main avec respect.)
« Chanteuse des rues », par Xavier de Montépin
Je profite de l’occasion pour vous faire connaître deux autres personnages de roman portant le nom de ma famille. Il s’agit de la comtesse et du comte de Bouillanne, tous deux présents dans le roman dramatique de Xavier de Montépin, intitulé “Chanteuse des rues” publié à Paris en 1900 (pages 259-262). Si l’on se fie à la datation et aux informations contenues dans le roman, et en se basant sur les écrits des deux frères MM Eugène et Émile Haag, il pourrait s’agir de Jean-Louis-Etienne de Bouillanne habitant à Céligny, possiblement un descendant de Etienne de Bouillanne, mon ancêtre direct. Les deux historiens protestants écrivent : « Actuellement (1879), ce nom ne compte plus qu’un représentant à Genève, — et deux à Céligny dont l’un (Jean-Louis-Etienne, fils de Jacob), est maire de cette commune du canton de Genève. » (La France protestante, Paris 1879).
Nous retrouvons cette information dans le « Dictionnaire des familles nobles subsistantes de Suisse », de Benoît Diesbach de Belleroche (Intermède Belleroche, 1996). Ce dictionnaire, le premier du genre pour la Suisse, fit l’objet d’une édition limitée à titre d’essai (Librairie généalogique de la Voûte).
EXTRAIT DU ROMAN « CHANTEUSE DE RUES » :
— D’abord, vous n’ignorez pas que j’ai été engagé comme pécheur au château de Céligny, chez M. le comte de Bouillanne ?
— Oui, je le sais.
— Faut vous dire que M. de Bouillanne est un brave homme, qui traite bien ses domestiques. Je prends mes repas à l’office, avec le personnel de la maison, et je vous avoue, monsieur le maire, qu’on est nourri… ah! mais, là, à s’en fourrer par dessus la tète.
— Abrège, Pierre. N’entre dans aucun des détails qui ne sont intéressants que pour ton estomac.
— Eh ben, voilà ! Mme la comtesse de Bouillanne a une sœur qui habite Paris. Son mari vient de mourir. Elle est veuve depuis un mois. Alors, elle est arrivée au château pour y passer son deuil. Elle était venue toute seule, sans domestiques d’aucune sorte ; mais elle avait besoin d’une femme de chambre.
Mme de Bouillanne et sa sœur piquèrent jusqu’à Lausanne pour en trouver une qu’elles ramenèrent le jour même à Céligny où elle prit aussitôt son service ; une fille de vingt-cinq ans, jolie tout plein et d’un rigolo… épatante ! … comme on dit aujourd’hui… et d’un chic!… C’est une Parisienne! et avec une langue! oh! la, la!… monsieur le maire, celui qui lui a coupé le filet n’a pas volé ses cinq sous.
« Faute de connaître tant de menus et prosaïques renseignements, on parle encore aujourd’hui sur les rives du lac de Genève, comme autrefois dans les forêts du Dauphiné, des légendes ténébreuses et mystérieuses de la famille de Bouillane. »
MM Eugène et Émile Haag, La France protestante, Paris 1879