Le discours émouvant et empreint de vérité de Patrice Tardif lors de l’adoption du projet de loi 90 et l’abolition du Conseil législatif du Québec

Le 12 décembre 1968, le conseiller législatif Patrice Tardif prononça un discours émouvant et empreint d’une vérité profonde qui allait servir d’avertissement pour les générations futures. Ce discours fut prononcé lors du débat du Conseil législatif, à la veille de l’adoption du projet de loi 90 et de l’abolition de la chambre haute du Parlement du Québec. Il a dit à cette occasion : « Une seule Chambre au Québec fera l’affaire de qui? Je pose la question. La réponse s’impose. La disparition de la Chambre Haute ferait l’affaire, premièrement, de ceux qui pourraient être présentement à préparer une révolution; deuxièmement, de ceux qui pourraient être intéressés à manipuler notre constitution interne afin de rendre notre province plus malléable par les centralisateurs fédéraux; troisièmement, de nos extrémistes qui voudraient voir les minorités du Québec traitées en inférieurs; enfin, quatrièmement, des orgueilleux, des fats qui se sentiraient humiliés, du haut de leur grandeur, d’être soumis à des examens dans leurs actes gouvernementaux. »

Né le 17 juin 1904 à Saint-Méthode d’Adstock, Patrice Tardif est un fermier, animateur, gestionnaire et homme politique québécois. Il est le fils de Napoléon Tardif, cultivateur, et d’Alexina Doyon. Il suit des cours d’agriculture de l’Union catholique des cultivateurs (UCC) et de génétique avicole à Sainte-Anne-de-la-Pocatière1. Jusqu’en 1923, il travaille à la ferme familiale. Il travaille ensuite dans une usine au Massachusetts. Il épouse Florida Jolicoeur le 13 avril 1925 à Saint-Méthode. En 1926, il devient propriétaire de la ferme paternelle. De 1932 à 1935, il est animateur pour l’Union catholique des cultivateurs. De 1933 à 1935, il est président régional de l’UCC. Il a été gérant de la Société coopérative des producteurs de dindons de Frontenac, président de la compagnie Le Groin et vice-président de la compagnie Avico.

Lors de l’élection générale québécoise de 1935, il est élu député de l’Action libérale nationale dans la circonscription de Frontenac à l’Assemblée nationale, l’emportant sur le député sortant Henri-Louis Gagnon, du Parti libéral. À l’élection générale de 1936, il est réélu député, cette fois de l’Union nationale. Il est défait lors de l’élection générale de 1939 par le candidat du Parti libéral, Henri-Louis Gagnon. Du 11 janvier 1939 au 8 janvier 1947, il est maire de Saint-Méthode d’Astock. Du 8 mars 1939 au 11 mars 1941 et du 13 mars 1945 au 12 mars 1947, il est préfet du comté de Frontenac.

Lors de l’élection générale de 1944, il est de nouveau élu député à l’Assemblée nationale, défaisant de nouveau Henri-Louis Gagnon. Le 30 août 1944, il est assermenté ministre sans portefeuille dans le second gouvernement Duplessis. Il participe à la préparation de la Loi sur l’électrification rurale, adoptée en 1945, qui accorde des subventions afin de développer des coopératives d’électricité. En août 1945, il fait partie de la délégation du Québec à la Conférence du rétablissement, conférence fédérale-provinciale sur le partage des revenus entre les États fédérés et fédéral en prévision de la période d’après-guerre. Il est réélu député lors de l’élection générale de 1948. Il est défait lors de l’élection générale de 1952 par le candidat du Parti libéral, Gérard Noël.

Le 1er août 1952, il est nommé conseiller législatif de la division de La Vallière. Il est nommé whip du Conseil législatif en 1966. Il y siège jusqu’à l’abolition du Conseil législatif, le 31 décembre 1968.

De 1943 à 1970, il est organisateur de retraites fermées. Il fonde la corporation du Foyer Valin et il en est président à partir de 1954. De 1970 à 1972, il étudie la catéchèse à l’université Laval. De 1971 à 1976, il est vice-président du Conseil régional de pastorale. De 1972 à 1976, il suit des cours d’animation à Cap-Rouge. De 1978 à 1982, il est président de la Fédération de l’âge d’or du Québec.

Il meurt en 1989, à l’âge de 84 ans. Il est inhumé le 6 mai 1989 au cimetière de Saint-Méthode-de-Frontenac avec son épouse née Florida Jolicoeur (1905-1990).


« Que l'on jette un coup d'œil sur le monde: révolution ici, coup d’État là, assassinat, irréligion, fraude en haut lieu, etc. Nous ne sommes pas plus à l’abri que quiconque de ces tourbillons d’opinions qui menacent actuellement le monde entier. Or, le pouvoir entre les mains d’une majorité simple à l’Assemblée législative n’offre de garanties pour personne » — Patrice Tardif, Débats du Conseil législatif, 12 décembre 1968
Le débat sur les langues : séance de l’Assemblée législative du Bas-Canada le 21 janvier 1793.

Le discours de Patrice Tardif

M. le Président, honorables Messieurs, je siège en cette Chambre depuis seize ans, j’ai déjà siégé dans l’autre Chambre pendant douze ans et, rarement sinon jamais, je me suis trouvé en présence d’une telle situation.

La loi, actuellement devant nous, a été discutée dans l’autre Chambre de façon, que je ne qualifierai pas. Tout de même, M. le Président, je veux vous remercier de l’indulgence que vous avez voulu montrer cet avant-midi, en permettant que le débat s’élargisse quelque peu, étant donné les circonstances qui nous placent en quelque sorte dans l’obligation de répondre, au moins partiellement, aux insinuations, aux injures et même aux mensonges. Cela va jusque là !

Je veux d’abord féliciter très sincèrement les deux orateurs qui m’ont précédé ce matin, les deux leaders. Comme d’habitude, l’honorable représentant du gouvernement, l’honorable leader de la droite, y est allé de son raisonnement légal solide et il y est allé avec toute la pondération et la gentilhommerie que tout le monde lui connaît. En ce qui concerne l’honorable leader de l’Opposition, il a fait, lui aussi, un discours remarquable également par sa pondération qui, chez lui aussi, est habituelle et par sa courtoisie. Il est même resté, à quelques reprises, en deça de la vérité, ne voulant pas évidemment prendre le risque d’aller trop loin. Je les félicite très sincèrement pour cette pondération et surtout pour ces remarques très positives que chacun d’eux a bien voulu mettre devant nous ce matin.

M. le Président, comme diraient certaines personnes qui veulent passer pour savantes, la première partie de mes observations contiendra des remarques ad hoc et la deuxième partie sera plus pratique. J’espère que, ni dans l’un, ni dans l’autre cas, ces remarques ne seront des obiter dicta.

Tout d’abord, qu’est-ce que l’on a insinué à propos du Conseil législatif ? Est-ce que l’on a voulu établir et mettre devant l’opinion publique les faits tels qu’ils sont ? Est-ce que la presse et tous les média d’information ont été tout à fait objectifs là dedans ? Pour ma part, honorables messieurs, je soupçonne fortement que l’Opposition de l’autre Chambre — je soupçonne; je ne dis pas que je l’affirme, car, évidemment, je ne suis pas en mesure d’affirmer — a voulu, provoquer une réaction tellement mauvaise Ici au Conseil, provoquer notre humeur et nos sentiments — parce que nous avons encore des sentiments et nous avons encore, Dieu merci ! le sens de l’honneur — je soupçonne que l’on a essayé, par des moyens détournés, de provoquer le conseil afin que nous refusions la loi.

Normalement, après tout ce qui s’est dit là-bas, nous aurions pu dire — cela aurait été naturel — oui, eh bien, puisque vous ne voulez pas offrir un esprit de coopération, un esprit de pondération, un esprit de compréhension plus que vous ne le faites actuellement, nous allons tout simplement rejeter votre loi et nous allons voir qui aura le dernier mot ! Nous avions le droit de faire cela et cela eût été une réaction naturelle. Est-ce que cela eût été dans l’intérêt public ? Est-ce que cela eût été ce que la population attend de nous ? Est-ce que cela eût été, aussi, dans le sens de l’honneur ? C’est une autre question.

De l’autre côté, on a parlé d’achat du Conseil législatif, de scandaleuses pensions en regard des services que nous avions rendus. On a même parlé de pudeur ! Aurions-nous la pudeur de nous faire payer quelque chose ? On a parlé d’extorsion, de marchandage et de tout ce que vous voudrez.

A ceci, je voudrais simplement répondre que, d’abord, il n’y a pas eu de marchandage. Cela a été établi clairement par l’honorable premier ministre et par les deux leaders de cette Chambre. Pour ma part je n’ai vu personne qui soit venu me proposer des marchés. Non seulement je n’ai vu personne, M. le Président, mais j’affirme, ici, en prenant la responsabilité de ce que je dis, que le gouvernement qui a précédé le gouvernement actuel avait fait au Conseil législatif, à l’occasion du bill 3 qu’il a essayé de nous faire accepter — on l’a mentionné ce matin; je n’y reviendrai pas — des offres deux fois plus avantageuses que celles que contient le bill actuel.

C’est l’honorable premier ministre lui-même — le premier ministre du temps — qui est venu nous dire, ici au Conseil, non pas en cette salle-ci, mais dans une autre salle, qu’il avait l’intention de nous aménager des bureaux privés, à chacun de nous; que nous aurions un meilleur service, que c’était son intention de nous permettre de présenter la législation quand il s’agirait de législation privée, de nous donner plus de travail, en tout cas.

De plus, si nous acceptions le bill 3, Monsieur Lesage nous offrait de proposer lui-même un amendement à sa loi, décrétant que pour abolir le Conseil Législatif, il faudrait que l’Assemblée Législative adopte une loi à trois reprises, à trois législations différentes. Cela voulait dire que chaque conseiller était personnellement assuré de conserver son siège pour une période de 12 à 15 ans et qu’en même temps nos pensions de retraite s’accumulaient d’autant en vertu de la loi de la Législature.

Comment se fait-il que les mêmes personnes nous reviennent un an ou deux après, comme nous l’avons vu la semaine dernière, et parlent d’achat quand eux, ont offert le double ? Si nous avions été à vendre nous aurions au moins essayé d’accepter la meilleure offre. Non, M. le Président, ce sont là des discours indignes, regrettables, de nature à jeter le discrédit, non seulement sur le Conseil législatif, mais sur la Législature elle-même. C’est de nature à faire croire à la jeune génération, qui a le droit d’être dirigée et d’être renseignée selon la vérité et selon aussi la fierté que chacun de nous possède dans son cœur, que tous ceux qui s’occupent de la chose publique, que les législateurs de ce côté-ci ou de l’autre sont des gens à vendre, qu’il y a du marchandage, qu’il peut y avoir du chantage, et tout ce que vous voudrez.

Et puis après cela, on parle de revaloriser la fonction de député, le Parlement, les hommes qui s’occupent de la chose publique, quand on se détruit soi-même en jetant l’injure à de vieux serviteurs du peuple. Je pense en ce moment au représentant de Stadacona, l’honorable Laferté qui sert le public de sa province depuis le 25 juillet 1934. C’est toute sa vie, 34 ans, la fleur de sa vie avec son intelligence, sa formation légale et, disons-le, avec son esprit de droiture. Je pense que ce n’est pas exagéré de le dire. Ce sont ceux qu’il a lui-même mis au monde qui, à la fin de ses jours, viennent ternir sa réputation. Et on n’aurait pas honte d’un langage comme ça !

Où allons-nous, M. le Président? Où allons-nous?

Comment se fait-il qu’on trouve dans certaines régions, dans certains milieux intérêt à se détruire soi-même, à détruire le système parlementaire, à détruire le mot « démocratie » ? Parce que la démocratie, vous savez, on en connaît la définition. C’est le gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple. Le peuple a perdu confiance en partie en ses propres institutions, et tout ça parce qu’il se trouve trop souvent des hommes qui sont de petits politiciens, de petits « politicailleurs ». C’est l’infime partie, me direz-vous. Bien sûr. Il est bien certain que ce n’est pas les hommes publics en général, loin de là. J’ai pour les messieurs de la chambre basse énormément de respect et d’amitié, je dois le dire. Je compte de l’autre côté de la Chambre un grand nombre d’amis qui sont des hommes sincères, des jeunes députés et des moins jeunes, qui veulent réellement rendre service et qui, de fait, rendent service.

Mais pourquoi se détruire soi-même ? Où est l’intérêt là-dedans, sinon un petit peu de démagogie par-ci, par-là, pour essayer de justifier sa présence et essayer de se gagner des votes probablement ? Non, ce sont des procédés inqualifiables. Je ne les qualifierai donc pas, mais je laisse à chacun de vous le soin de le faire.

On voudrait placer le Conseil législatif dans une situation plus que difficile. Si nous écoutons nos sentiments et que nous disons, à cause des injures : Nous refusons la loi, on dira : « Vous êtes antidémocratiques ». Cette loi-là a été adoptée par la Chambre basse à l’unanimité, vous voulez vous cramponner. Si nous acceptons la loi, on dira : « Vous n’aviez qu’à la refuser ». Vous prétendez être utiles et vous acceptez de vous détruire. Eh bien, c’est ça, la situation ! Mais que faut-il répondre à cela ? Je pense, M. le Président, que la seule réponse qui a du bon sens, c’est encore la réponse du cœur et la réponse de la raison. Ne pas nous occuper de ce que l’on dira ou de ce que l’on pensera, mais nous occuper tout simplement de ce que nous croyons être le meilleur parti à prendre et agir en conséquence.

Après avoir dit des centaines de fois que le Conseil législatif avait joué un rôle inutile ou à peu près — je parle toujours de l’Opposition de l’autre côté — vous m’éviterez de donner des noms, ce n’est pas nécessaire, je pense bien que ces messieurs-là vont se reconnaître. Des centaines de fois, on a répété que le Conseil législatif n’avait pas rendu de grands services, que c’était une excroissance devenue inutile et que ce n’était plus dans le « vent » ! Imaginez-vous ! Et après avoir dit cela, un moment donné, le chef de l’Opposition s’est ressaisi, quand il s’est aperçu qu’il était en train de se prendre à son propre jeu. Il a dit — d’après les débats de l’Assemblée législative que j’ai ici — évidemment, je ne les citerai pas, parce que ce n’est pas nécessaire, il a dit : « Ce n’est pas sans un certain sentiment, presque de nostalgie, que nous voyons disparaître cette vieille institution… »

Il a commencé à mettre de l’avant certains arguments. Il ne faut pas oublier, a-t-il dit, qu’il y a des questions de première importance que, si le conseil disparaît, il va devenir extrêmement difficile de trancher sinon, extrêmement dangereux de trancher, et le chef de l’Opposition a cité, par exemple, les amendements à la constitution interne. Il a cité le système présidentiel que l’Assemblée législative pourrait peut-être chercher à adopter. D’ailleurs, le leader de l’Opposition l’a mentionné un peu, ce matin. Je pense que c’étaient des arguments valables de la part du leader de la gauche en cette Chambre et de la part du leader de la gauche en l’autre Chambre, ce sont des arguments valables. De même, le chef de l’Opposition de l’autre côté a dit : « Nous pourrions décider, à un moment donné, d’avoir des élections seulement tous les six ans ou tous les dix ans. » Si on peut adopter des lois comme cela, avec une majorité simple, c’est excessivement dangereuse, une majorité simple. Le leader du conseil, ici, a mentionné une majorité simple des membres présents. C’est très vrai. Il a également parlé du changement de la carte électorale que l’on pourrait chambarder pour des besoins électoraux qui ne servent pas toujours la population. Enfin, après avoir prôné et avoir répété cent fois que c’était inutile, à un moment donné, le chef de l’Opposition de l’autre côté s’est trouvé une dizaine de raisons de le garder. Arrangez-vous avec ça, si vous comprenez, vous autres ! Moi, ça fait longtemps que je ne comprends plus rien !

Voilà. Je pense, M. le Président, que, dans tout cela, il y a eu une bonne dose d’opportunisme. On a voulu essayer de tasser le gouvernement en faisant miroiter le fait que c’était le programme de l’Union Nationale. Je n’aime pas à parler de l’Union Nationale, en cette Chambre, et je pense qu’on me rendra ce témoignage-là. J’ai essayé, depuis seize ans que je suis ici de faire des discours — je ne dirais pas des discours intéressants, car on ne peut pas demander à quelqu’un de donner ce qu’il n’a pas — mais des discours au moins positifs. J’ai essayé de faire des discours qui, au moins, reflétaient ma pensée et non pas des discours opportunistes, et surtout des discours non partisans.

On a dit : C’est dans le programme de l’Union Nationale. Je l’ai ici, le programme de l’Union Nationale, je l’ai apporté pour une fois. J’y relève ceci : « affaires de l’Etat », 7 B, page 13, premièrement, établir un mécanisme sauvegardant les droits du peuple en matière constitutionnelle.

« Deuxièmement, abolir le Conseil législatif sans intervention de Londres, ni d’Ottawa dans les affaires internes du Québec.

« Troisièmement, procéder à une réforme de nos institutions parlementaires pour en faire un instrument moderne et efficace au service de la communauté québécoise. »

Voilà ce que dit le programme. Premièrement, mécanisme pour protéger la constitution et, quand cela sera fait, là, vous pourrez vous demander si vous avez encore besoin du Conseil législatif. Mais, quand cela sera fait seulement. Pourquoi commencer par la queue ? C’est cela que je ne comprends pas. Nous vivons à une époque où tout ce qui n’a pas de bon sens en a et où tout ce qui a du bon sens n’en a pas. Pourquoi ne commencerait-on pas par se donner un mécanisme ?

Nos deux leaders l’ont mentionné ce matin, l’opinion publique a été empoisonnée et complètement faussée au sujet du Conseil Législatif. Pour ma part, je le dirai franchement, je considère que les média d’information n’ont pas été justes à notre endroit, depuis quelques semaines surtout, mais ça fait longtemps qu’ils sont injustes.

On a mis en gros titres sur les journaux : « Pension de $10,000 ». C’est faux. Ce n’est pas une pension. Nous y avons contribué et c’est une allocation qui nous revient selon la loi, pour la grande majorité. Deuxièmement, on a laissé croire à la population, par des titres flamboyants et par des commentaires de toutes sortes que c’était la pension qui était le point principal. Ce n’est pas cela du tout. L’important, c’est de savoir si les droits constitutionnels de la génération qui monte et des générations futures seront garantis, si n’importe qui ne peut pas venir jouer avec les destinées de la province et, par ricochet, avec les destinées du pays. Cela va jusque-là.

Il ne faut pas oublier que la province de Québec est une des parties très importantes du Canada et qu’un chambardement dans le Québec peut éventuellement provoquer un chambardement dans tout le pays. On lance toutes sortes de choses de façon inconsidérée, avec une irresponsabilité qui me renverse et qui me fait peur aussi, je le dis franchement.

Pourquoi tant parler de pension ? Je vais prendre mon cas; je m’excuse de parler de ma petite personne; ce n’est pas le point que j’essaie de faire ressortir, loin de là. Premièrement, c’est parce que je connais personnellement mon affaire, plus que les autres, et, deuxièmement, je ne veux pas courir le risque de mettre d’autres noms de l’avant; chacun est capable de parler pour soi. Dans mon cas, à supposer que nous refusions le bill cet après midi, j’aurais le droit, d’après la loi actuelle, de recevoir, demain, une pension de $7,592.85. J’ai fourni pour cela une contribution de $706.63 chaque année, depuis 7 ou 8 ans pour racheter les arrérages.

Pourquoi parler de pension ? Est-ce qu’on a fait tant de gorges chaudes pour cette question de pensions, quand il s’est agi d’autres personnes que nous ? Je me suis donné la peine, M. le Président, de consulter les comptes publics. J’ai ici les comptes publics de 1964-1965. Et qu’est-ce que j’ y vois ? J’y vois, à la page 445, une liste de 18 juges — je ne donnerai pas les noms, évidemment — qui reçoivent tous des pensions de $14,000, $13,999.92, si vous aimez mieux. M. Untel, M. Untel, $13,900, $13,900, $10,000, $13,999, $10,500, $10,599, $13,999, $13,999, $10,500, $13,999, $13,999, $12,000, $10,125, $13,999.92, $10,500, $13,999, $10,384.86.

Remarquez bien que je ne m’oppose pas à cela. Voici des serviteurs du peuple qui sur leurs vieux jours ont le droit à la sécurité. Je ne cite pas ça pour vouloir déprécier cette loi en quoi que ce soit. Mais j’ai dit qu’il faut être démagogue pour vouloir parler de scandale, de pensions scandaleuses, quand ce sont des pensions que nous avons achetées de nos propres deniers, c’est non seulement démagogue mais c’est malhonnête.

M. le Président, quand ç’a été le temps de cette pension-là de $13,000, $14,000 et $16,000 — j’ai ici le ‘Hansard » que je ne cite pas — le premier ministre a pris la peine de déclarer, et je cite juste un mot : «On sait que les juges ne contribuent pas à leurs pensions». Or, nous qui avons contribué, c’est un scandale. Quand ç’a été le temps des autres, $14,000; pour nous autres $10,000. Ce n’est pas une pension, c’est tout simplement une assurance-groupe à laquelle chacun de nous a contribué de ses deniers. Cela, c’est scandaleux ! Il ne faut pas avoir de pudeur pour accepter ça a dit M. Lévesque. Quant aux autres qui n’ont pas contribué et dont la pension est le double, personne n’a dit un mot. Il n’y a pas de démagogie là-dedans ? Y a-t-il un autre nom pour qualifier ça ?

Moi, je me demande si je ne serai pas obligé d’étudier le nouveau dictionnaire. Je n’ai pas d’autres mots pour qualifier ça. Voilà la situation que l’on nous fait. Tout ça, pour les services que nous avons pu rendre, comme nous l’avons établi cet avant-midi. Il y a eu des services énormes de rendus par le Conseil législatif. On a même dit de l’autre côté, et c’en est un qui a dit ça, il a dit : « Il y a deux ou trois personnes qui travaillent ». A un moment donné il s’est repris : Le chef de l’Opposition fait signe avec ses deux doigts-là et il y en a seulement que deux. C’est juste ça ? Y a-t-il un mensonge qui peut être plus révoltant ? Perfide, c’est le mot.

Quand nous avons siégé au comité, en bas, je me rappelle encore d’un soir où nous sommes sortis de la salle de comité des bills publics à trois heures moins vingt du matin pour recevoir les arguments de tout le monde et passer toute la législation qu’il y avait sur la table.

Évidemment, on ne s’attend pas à ce que je sois reconnu ici comme ayant la compétence légale que peuvent avoir les deux leaders de cette chambre. Je le reconnais avec beaucoup de plaisir, et c’est à leur honneur, d’ailleurs. Mais ils ont mis ces deux messieurs-là avec tous les autres, sans exception, à la disposition des chambres, leurs talents.

Ils avaient, eux, des talents légaux spéciaux et ils pouvaient se trouver, de fait, effectivement, il se trouvait des gens qui parmi les autres conseillers législatifs, avaient d’autres professions que celles de notaire ou d’avocat mais qui avaient de l’expérience dans l’administration municipale et scolaire. Us avaient de l’expérience dans les affaires en général, comme l’a mentionné l’honorable leader de l’Opposition ce matin. Est-ce qu’il faut prétendre qu’il faut être avocat pour étudier les amendements à la charte de telle ville qui vient nous demander un pouvoir d’emprunt, pour consolider ses dettes ? Est-ce qu’il faut être avocat pour savoir que telle municipalité qui a des dettes éparpillées, un peu ici et là, pour $25,000, à un moment donné, veut emprunter $25,000 pour payer tout le monde ? Ce n’est pas difficile à comprendre pour ceux qui ont un peu le sens de l’administration. Est-ce qu’on va prétendre qu’il faut être avocat, réellement, pour être capable de répondre à une municipalité qui s’en vient nous demander la permission d’établir un fonds industriel pour pouvoir développer une ou plusieurs petites industries dans le village et accommoder les gens qui y demeurent ?

Est-ce qu’on va prétendre qu’il faut avoir des talents spéciaux de légiste pour savoir, par exemple, que dans certains cas il y a lieu de commuer des taxes pour les deux ou trois premières années à telle ou telle industrie qui veut s’établir ? On peut dire oui, on peut dire non. C’est la même chose pour les annexions. C’est la même chose pour les salaires des maires et des échevins. Chaque année, ça nous revient par paquets, ces affaires-là. Pour la construction d’aqueducs, est-ce qu’il faut avoir une formation légale pour savoir que les gens doivent boire et que, pour ça, il faille bâtir des aqueducs ? Pour bâtir des aqueducs, il faut des piastres. Pour avoir des piastres, il faut avoir le droit d’imposer des taxes, ou avoir le droit d’emprunter. Il me semble que c’est une vérité de La Palice.

Est-ce qu’il faut encore être des hommes d’une capacité légale extraordinaire pour, par exemple, accorder à certaines municipalités le pouvoir d’exproprier quand il s’agit de cas qui dépassent l’ordinaire. Est-ce qu’il faut être encore des légistes avertis et avoir un diplôme de notaire ou d’avocat pour savoir qu’à un moment donné, telle municipalité veut célébrer son centenaire et elle veut avoir le pouvoir de faire des emprunts ?

La même chose pour la subdivision des villes pour savoir s’il va y avoir dix quartiers ou trois. La même chose pour le mode d’élection, savoir s’il va y avoir des élections tous les deux ans ou tous les trois ans. Des pouvoir spéciaux pour les services d’hygiène, est-ce qu’il faut être avocat là encore ? Pour abandonner certaines taxes en certains cas ? A cause de certains contrats qui interviennent des fois, qui sont sujets à ratification par la législature ? Est-ce qu’il faut prétendre qu’il faut une formation légale pour rectifier certaines ententes qui ont été prises à l’amiable quand la loi ne le permettait pas ? On vient demander à la Législature de légaliser cela, parce qu’on s’est entendu de part et d’autre plutôt que de faire un procès. Est-ce qu’il faut être avocat pour comprendre cela ? Est-ce qu’il faut être avocat, également, pour légaliser certaines résolutions qui ont péché par défauts de forme, lors de l’imposition de certaines taxes, ou pour certaines autres formalités qui n’ont pas été complètement remplies et qui, cependant, demeurent justes et dans l’intérêt de la municipalité ? Et combien d’autres sujets que je pourrais énumérer ! Mais ce serait trop long de le faire. Je dis tout simplement que chacun des membres de la Chambre haute sans exceptions, a rendu et rendent encore et pourraient encore rendre de très précieux services. Et je ne suis pas certain que l’abolition du Conseil législatif, si la loi est adoptée, n’apportera pas des séries de procès, à cause de textes qui ne sont pas trop clairs, comme l’a mentionné l’honorable leader de la gauche. Des textes ambigus seront à la base de litiges, devront être tranchés devant les cours de justice, et ça, c’est la population montante qui va payer pour cela. On me dira : « La population veut cela ». Dans la population, personne ne nous défend. Malheureusement, c’est pas mal vrai. Cela ne veut pas dire, par exemple, que c’est le mieux qui pourrait se produire.

La population ! J’ai énormément confiance au jugement de la population. J’ai même une confiance absolue au jugement des voteurs, du peuple en général. C’est le gros bon sens qui prévaut. A une condition cependant. C’est que cette population soit adéquatement renseignée. Quand la population sait de quoi il s’agit, j’ai confiance en son jugement. Mais vous devez admettre avec moi, honorables messieurs, que, depuis plusieurs années, les journaux, les journalistes, les média d’information ont été absolument injustes à notre endroit. Je dis le mot. Cela ne fera pas plaisir à tout le monde, je le regrette, mais c’est quand même vrai. Et alors, la population est préjugée.

Si je meurs de vieillesse, j’ai soixante-quatre ans, je suis certain qu’avant de mourir, je récolterai des observations qui prouveront que les paroles que j’avance en ce moment sont exactes et que nous avions vu juste. Je suis sûr de cela. Maintenant, qu’on ne vienne surtout pas me parler d’économie. Parce que là-dessus, vous savez, j’en aurais long à dire. J’y reviendrai peut-être un peu plus tard.

Je mets de côté certaines notes pour ne pas prolonger inutilement les discours, mais je dis, honorables messieurs, que la loi qui est devant nous n’est pas d’intérêt public. Je dis que la loi qui est devant nous va jouer contre la génération montante. Je dis que la loi qui est devant nous est de nature à causer des préjudices considérables à la population, même si, dans certains milieux, on s’en rend plus ou moins compte dans le moment.

J’ai ici une coupure de journal, on y lit : «Bon débarras», dit M. un tel, «le Conseil législatif, bon débarras!» Bien, le meilleur débarras, à mon avis, ce serait de débarrasser une fois pour toutes la province de ces chasse-industries, de ces chasse-capitaux que nous avons. C’est justement le monsieur-là qui a parlé de débarras. On n’a pas d’idée du chômage qui existe aujourd’hui à cause du langage que ce monsieur-là a tenu depuis « x » années. Il a réussi à effrayer les capitalistes, soit anglais, soit français, soit américains à venir investir plus dans le Québec. Je ne dis pas qu’ils ne sont pas venus, mais ils seraient venus encore plus nombreux, je pense parce qu’il est temps que nous disions à ces messieurs qui ont de l’argent à investir qu’ils sont les bienvenus au Québec.

Qu’ils soient Américains, Français ou Anglais, qu’importe d’où viennent les capitaux, pourvu qu’ils nous aident à améliorer notre situation économique, pourvu que ces messieurs veuillent bien avoir assez confiance en nous pour venir nous aider à bâtir des industries et procurer, par le fait même, du travail à nos ouvriers; nous aider à raccourcir la liste des chômeurs et nous aider à donner un emploi à ces quelques milliers de jeunes gens qui arrivent, chaque année, sur le marché du travail.

Je dis à ces messieurs-là, qui sont des capitalistes américains, anglais ou français — je ne fais pas de différence — que je ne suis pas un antianglais, que je n’ai pas peur des Anglais. Eux n’ont pas peur de moi, et ils ont raison. Je n’ai pas peur non plus de ceux qui peuvent avoir le visage plus brun que nous autres. Qu’est-ce que cela nous fait ? Le cœur, ce n’est pas la couleur de la peau qui change cela. Nous sommes assez larges d’esprit pour pouvoir vivre ici, dans le Québec, à côté de ces messieurs qui sont des Anglais et qui nous ont, à tout prendre, bien traités. Ils ont eu plus que leur part, dit-on. Cela est une autre question, et ça viendra dans un autre endroit. C’est encore à démontrer, ça ! Mais en tout cas, ce n’est pas le temps aujourd’hui d’aller au fond de cette question-là.

Je crois que nous devons donner ici l’exemple, à la Législature de Québec, d’un peuple qui veut prospérer, d’un peuple qui est assez large pour vivre à côté des races qui nous côtoient, en harmonie, et qui cherchent à développer le Québec au point de vue économique et à tous les points de vue.

Il ne faudrait pas croire, tout de même, que tout le monde est unanime sur la disparition du Conseil. Je sais bien que plusieurs d’entre vous… j’ai une résolution ici qui vient de la Jeunesse de l’Union Nationale du comté de Dorchester. Je vais en lire seulement quelques attendus. Je vais en lire trois. J’ai reçu cela hier. Ce n’est pas vieux. Le 8 décembre 1968, à Saint-Malachie, les jeunes se sont réunis. Cela ne fait pas longtemps, c’est le 8 décembre. Il y a plusieurs attendus; j’en saute plusieurs et j’arrive à celui-ci :

« Attendu que le Conseil législatif a sauvé l’honneur du Québec en s’objectant à ce que le gouvernement de l’Angleterre n’intervienne dans notre constitution.

« Attendu que le Conseil législatif a, par sa seule présence, fait échec à la formule de rapatriement de la constitution dite « formule Fulton-Favreau », que l’on a justement qualifiée — comme tout le monde le sait — de formule « carcan »… L’honorable leader du Conseil a mentionné ce matin jusqu’à quel point nous serions, aujourd’hui, des honorables « encarcannés » si cette formule-là avait été adoptée. C’est le Conseil législatif qui y a fait échec, même si on veut jouer sur les mots, à certains endroits.

« Attendu que le Conseil législatif, par son rôle trop souvent, dans le passé, passé sous silence, a contribué au bien-être des Québécois en leur évitant de vivre dans l’ambiguïté des lois votées à la hâte »… et on continue dans le même sens. Voilà pour vous dire que tout le monde n’est pas unanime et qu’il y a encore des jeunes qui pensent, Dieu merci !

Je passe maintenant à la deuxième partie : « Le Québec est en évolution ! Le Québec vit sur un volcan ! Le Québec est en révolution ! Grand Dieu, où allons-nous ? » Voilà quelques-unes des expressions alarmantes que l’on entend partout dans la rue, dans les magasins, dans les salons de barbier, enfin partout. Et si vous ouvrez un journal, vous y trouvez des titres comme ceux-ci : « Un meurtre crapuleux. Un hold-up à telle banque. Un jeune homme accusé de viol », etc. etc. Si vous continuez à feuilleter votre journal, vous lirez d’autres titres comme ceux-ci : « Les enseignants en grève. Les étudiants se révoltent. Un groupe d’étudiants est allé en Europe ou à Cuba afin d’étudier leur méthode de révolution. » Ce sont des titres de journaux, cela ! « Une bombe éclate à tel édifice et fait pour des milliers de dollars de dommages. Une personne a été tuée. M. Untel, chef de tel syndicat, déclare que c’est une épreuve de force entre lui, son syndicat et le gouvernement. M. Untel, chef de tel autre mouvement séparatiste, prend part à une révolution sanglante à Montréal, et est arrêté par la police », etc. etc… Je pourrais continuer ainsi à citer des exemples qui montrent bien le climat d’incertitude où nous vivons actuellement.

Honorables messieurs, il faut voir les choses telles qu’elles sont. Il ne sert à rien de refuser de voir.

C’est précisément à ces moments-là, à ces moments critiques, que l’on nous propose un projet de loi pour abolir la Chambre haute, qui est pourtant la meilleure garantie de stabilité, de respect dans l’ordre et de progrès. Qui d’entre vous me dira : « Vous, membres de cette Chambre, ou vous, de l’extérieur, qui sera à la gouverne du Québec dans 10 ans, dans 5 ans ou dans 3 ans ? » Personne ne peut répondre à cette troublante question. Je reviendrai sur ce sujet un peu plus tard. Pour le moment, je veux répondre encore un peu à ceux qui pourraient croire que je défends actuellement mes intérêts personnels. Je dirai que la pension que me propose le bill 90 ne m’influence nullement. Et voici pourquoi.

Premièrement, Je l’ai dit tout à l’heure, à l’occasion de la présentation de ce fameux bill 3, le gouvernement précédent avait offert aux conseillers en office un traitement beaucoup plus généreux que ne le propose le présent projet de loi. Et j’insiste. On nous avait offert infiniment plus que nous recevrons aujourd’hui. Comparativement à ce qui s’est passé de l’autre côté, cela jure, tout le monde l’admettra. Sans hésitation, nous l’avons refusé, parce que rien ne protégeait plus la Constitution du Québec, et c’est là le point. Ce n’est pas une question de dollars ! C’est la dernière affaire qui doit nous occuper. Cela n’est pas une question de pension ! La loi nous en accorde une selon les contributions, et tout le monde était satisfait de cela !

Mais c’est une question de savoir, par exemple, si la sécurité du pays et de la province sera protégée d’une façon convenable ! Nous avons donc refusé, parce que rien ne protégeait plus la Constitution.

Deuxièmement, je ne suis pas influencé par le projet de loi, parce que la pension viagère que l’on nous offre n’est pas un cadeau ! En effet, prenons mon propre cas comme exemple. Le fonds annuel de pension auquel j’ai contribué, de mes deniers, me donne présentement droit à une pension annuelle, en chiffres ronds, de $8,000, et cette somme s’augmente de $450 chaque année, ce qui revient à dire que, dans quatre ans, j’aurais droit à une pension viagère annuelle de $10,000. Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle loi pour cela ! Il n’y a qu’à nous laisser vivre deux, trois ou quatre ans de plus. Tout le monde aura la même chose qu’il a aujourd’hui.

Pourquoi parler de cela ?

J’ai été nommé à vie, par décret royal, s’il vous plaît ! Lettre patente, grand sceau de la province, signature du lieutenant-gouverneur, contre-signature du greffier de l’Assemblée législative. Tout y était. Aujourd’hui, la reine renierait son contrat ? Elle renierait la signature de son représentant, l’honorable lieutenant-gouverneur ?

Que nous offre-t-on pour rupture de contrat ? Dans mon cas, rien ou à peu près. Y a-t-il deux individus, dans le pays, qui accepteraient de renoncer aux avantages d’un contrat sans compensation à peu près équivalente ? Donc, dans mon cas, de même que dans le cas de la très grande majorité des membres de ce Conseil, il n’y a vraiment pas lieu de parler de cadeau, puisqu’il s’agit tout simplement de nous accorder la pension à laquelle nous avons tous contribué de nos deniers. Ce point-là paraît réglé.

Revenons maintenant, au sujet principal que j’ai mentionné il y a quelques minutes, à savoir que nul ne saurait prévoir qui serait à la gouverne de la province dans cinq ou dix ans.

On sait ce qui s’est passé en France, il y a quelques années. Le mouvement poujadiste avait réussi, à la surprise générale du peuple français à faire élire 29 de ses députés. Il s’agissait d’extrémistes, considérés en France comme très dangereux.

Que l’on jette un coup d’œil sur le monde: révolution ici, coup d’État là, assassinat, irréligion, fraude en haut lieu, etc. Nous ne sommes pas plus à l’abri que quiconque de ces tourbillons d’opinions qui menacent actuellement le monde entier.

Or, le pouvoir entre les mains d’une majorité simple à l’Assemblée législative n’offre de garantie pour personne. Nous avons eu dans le passé et nous avons encore tous les jours, de très nombreux exemples qui démontrent qu’en général la partisanerie joue carrément contre nos meilleurs intérêts.

Exemple, un ancien premier ministre du Québec n’avait-il pas accepté, à la demande de son parti à Ottawa, de nous imposer la désormais fameuse formule Fulton-Favreau, Justement qualifiée de formule-carcan ? C’était une camisole de force qui étouffait pour toujours toute possibilité d’émancipation pour les Québécois. Et, pourtant, ce premier ministre avait réussi à imposer sa gaffe à l’autre Chambre. Il s’en est repenti publiquement un an après, mais que serait-il arrivé sans le Conseil législatif qui a tué le bill ? Il eût été trop tard.

L’honorable chef de l’Opposition de la Chambre basse a déjà admis que, n’eût été le Conseil législatif qu’il redoutait, la constitution du Québec aurait été amendée pour enlever aux ruraux une vingtaine de députés. Était-ce là l’intérêt général de notre population ou n’était-ce pas plutôt de l’électoralisme ?

Au Québec, qu’arrivera-t-il si la Chambre haute disparaît et qu’à l’occasion d’une élection une poignée de fanatiques contrôle la Chambre ? On me répondra : « Le peuple l’aura voulu ». Je dis non, le peuple ne l’aura pas voulu. Un noyau d’agitateurs irresponsables l’aura voulu et sera maintenant en mesure d’exercer une pression désastreuse sur le gouvernement, menacé à tout instant d’être chassé du pouvoir. On sait ce qu’il arrive à un gouvernement qui est plus ou moins instable et qui doit compter sur une poignée d’extrémistes pour se maintenir: il fait des concessions et ce ne sont pas toujours des concessions avantageuses. On sait par expérience que ce genre de chantage peut favoriser les décisions les plus désastreuses et créer des accrocs administratifs irréparables.

Avec une deuxième Chambre, le frein, le cran d’arrêt est là pour parer à toute éventualité. Son rôle de modérateur est une excellente garantie pour l’élément sain de la population québécoise. Nous vivons présentement une situation des plus paradoxales. La province de Québec, dit-on, n’est pas comme les autres; pourtant, on veut actuellement faire comme toutes les autres provinces du Canada, soit se priver d’une Chambre haute.

Or, notre situation est nettement différente de celle des autres provinces. La population respective des neuf autres provinces du Canada appartient à la majorité du pays, même langue, même religion, mêmes traditions. Tel n’est pas le cas pour le Québec. Un genre de constitution peut fort bien faire l’affaire en Ontario et ne pas du tout faire l’affaire ici. Au Québec, tout est différent. Nous avons notre propre culture, nos propres traditions, nos propres aspirations et, par conséquent, nous devons avoir notre propre constitution, notre propre façon de nous gouverner.

On m’objectera qu’avec les principaux partis actuels, il n’y a pas de danger pour la constitution ou pour les minorités. Pardon, honorables messieurs ! Nous avons tous été témoins de volte-face déconcertantes entre M. Untel dans l’Opposition et le même M. Untel au pouvoir. L’utilité de la Chambre Haute a été souvent clairement démontrée. Je n’ai pas l’intention de reprendre ici ce qui a été dit par les orateurs qui m’ont précédé. Nous avons apporté ici, depuis 16 ans que je siège, des amendements par centaines à chaque session, lesquels amendements ont été acceptés par la Chambre des députés dans une proportion de 99.9%. Voilà la preuve de notre bon travail dans notre rôle de législateurs non partisans.

Personne, même les pires adversaires du Conseil législatif, ne nous a jamais accusés d’abus de pouvoir. Dommage que le bon peuple n’ait pas l’occasion de connaître ce qui se passait ici ! Il y aurait actuellement moins de préjugés contre le Conseil législatif. En effet, les journaux, la radio et la TV ont soigneusement observé le silence à notre sujet, sauf pour faire des calembours et des gorges chaudes à temps et à contretemps. Pourquoi cette conspiration du silence ? Je vous laisse deviner. Pour ma part, je ne suis guère enchanté du rôle de certains journalistes, non plus que de certains journaux, lesquels ont été loin de jouer un rôle objectif.

Une seule Chambre au Québec fera l’affaire de qui ? Je pose la question. La réponse s’impose. La disparition de la Chambre Haute ferait l’affaire, premièrement, de ceux qui pourraient être présentement à préparer une révolution; deuxièmement, de ceux qui pourraient être intéressés à manipuler notre constitution interne afin de rendre notre province plus malléable par les centralisateurs fédéraux; troisièmement, de nos extrémistes qui voudraient voir les minorités du Québec traitées en inférieurs; enfin, quatrièmement, des orgueilleux, des fats qui se sentiraient humiliés, du haut de leur grandeur, d’être soumis à des examens dans leurs actes gouvernementaux.

Surtout, qu’on ne vienne pas me parler d’économie. Le Conseil législatif coûte moins de $0.10 par année à chaque contribuable. Rappelons ici une déclaration du regretté M. Johnson qui disait au printemps 1968, qu’il y avait au Québec environ 4,000 fonctionnaires qui ne fonctionnaient pas, ou à peu près. On dira : « Les partis qui gouvernent actuellement la province avaient promis l’abolition du Conseil ». Encore ici, les journaux ont mal joué leur rôle et mal informé la population. Voici ce que je lis dans le programme de l’Union Nationale, à la page 12, au chapitre des nations. Je l’ai donné tout à l’heure : Premièrement, mécanisme pour sauvegarder la constitution; deuxièmement, après avoir organisé un mécanisme pour sauvegarder la constitution, là, abolition du Conseil; troisièmement, procéder à une refonte de nos institutions parlementaires pour en faire un instrument moderne et efficace au service de la communauté québécoise.

Si on veut parler d’économie, je pourrais en citer des économies à faire, vous savez. Je vous réfère tous aux comptes publics 1964-1965. Vous trouverez là, à la page 428, un monsieur qui a été placé à la bibliothèque au salaire de $9,965.73. On a créé un poste qui n’existait pas, justement pour le beau-père de l’un de nos grands gars qui crie au scandale aujourd’hui. Est-ce que cela a du bon sens ?

Une autre économie qu’aurait pu faire le gouvernement Lesage eut été de ne pas payer à l’avocat L.P. Pigeon $35,736.00 par année pour faire faire un travail de législation que faisait jadis gratuitement M. Edouard Asselin, notre leader en cette Chambre. Monsieur Asselin faisait les lois gratuitement sans y être aucunement obligé; cela a duré 16 ans. Il a ainsi épargné au trésor provincial trois ou quatre millions de dollars. Aujourd’hui on l’injurie pour toute récompense. Pour cela, on le traite de vendu. Est-ce que cela a du bon sens ? Combien d’avocats ont été engagés à $100 par jour pour faire partie d’une désormais fameuse enquête nommée l’enquête Salvas qui a sali tout le monde et qui a coûté des centaines de mille dollars ? Là, il y aurait eu des économies à faire.

Dans notre cas, ce sont des allocations que nous avons payées pour nous aider à vivre, et dans leur cas, c’étaient des dépenses de centaines et de millions de dollars pour tuer. C’est cela la différence : dans un cas pour faire vivre et dans l’autre pour tuer et traîner les réputations dans la boue, les salir. Ce sont ces gens-là qui jettent les hauts cris aujourd’hui.

On dira que le parti qui gouverne actuellement la province avait promis l’abolition. J’ai répondu à cela. Comme on le volt, le programme de l’Union Nationale mentionnait, d’abord et avant tout, la création d’un organisme pour protéger la constitution. Pourquoi commencer par la fin au lieu de commencer par le commencement ? Le programme de l’Union Nationale dit bien : premièrement, établir un mécanisme pour protéger la constitution; deuxièmement, abolition du conseil.

La grande réticence que j’éprouve à voter pour ce projet de loi est justement le fait — et j’insiste là-dessus — qu’il ne prévoit aucun mécanisme pour protéger notre constitution et les minorités. Nous voulons vivre en paix ici, et non pas toujours menacés d’une bombe, de bâtons de dynamite ou de coups de bâton à la porte du parlement.

Pour ma part, si ce projet de loi est adopté, je partirai avec le sentiment intérieur d’avoir, pendant seize ans, joué avec mes collègues un rôle non seulement utile, mais essentiel à une saine administration. J’ouvre ici une parenthèse pour dire que je ne suis pas du tout fâché. Je n’en veux à aucun de ceux qui siègent ici ou de l’autre côté, même ceux qui peuvent nous avoir injurié. Non. La vie est trop courte et j’ai d’autre chose à taire, qui est beaucoup plus positif. Je pars avec ce sentiment de sérénité que donne la satisfaction du devoir accompli. J’ai fait humblement, selon mes modestes capacités, ce qui selon moi, devait être fait; j’étais conscient de remplir un devoir. Ayant siégé douze ans à la Chambre basse et seize ans, ici, au Conseil, je partirai donc après avoir servi pendant vingt-huit ans le bon peuple de chez nous.

J’ai eu beaucoup de plaisir et de consolation dans mon travail. Après plus d’un quart de siècle de vie publique, je suis très heureux de déclarer — et je le dis hautement — que la très grande majorité des hommes publics, à quelque parti politique qu’ils appartiennent, font de leur mieux pour servir ce qu’ils croient être les meilleurs intérêts de leur province. Qu’il y ait une ou deux exceptions parfois, il faut s’attendre à cela, car nous vivons sur la terre. Mais, en général, je le dis avec beaucoup de fierté, nos hommes publics nous font honneur. Il y a assez longtemps que certaines personnes cherchent à jeter le discrédit sur eux.

J’ai été élu en novembre 1935, alors que je n’avais que 31 ans. J’ai vu à l’œuvre huit premiers ministres ! MM. Taschereau, Duplessis, Godbout, Sauvé, Barette, Lesage, Johnson et Bertrand. J’ai vu chacun d’eux évoluer, tantôt gagnant, tantôt perdant. Chacun d’eux a montré beaucoup de talent et une intelligence très vive. Mais, de tous ceux-là, à mon avis, il en est un surtout qui a marqué son temps et donné une orientation nouvelle à la province. Alors que le Canada avait encore le statut de Dominion et que le Québec devait se contenter des miettes d’Ottawa, un homme a osé parler de l’autonomie de la province. Le patriote éclairé et prévoyant qu’était Maurice Duplessis avait vu juste et grand. Je veux lui rendre cet hommage en cette occasion, puisqu’il se peut que ce soit la dernière fois que ma voix soit entendue en cette auguste enceinte.

En ce qui concerne le Conseil législatif, disons que nous avons eu l’avantage d’y voir des hommes de toute première valeur. Je veux rendre un hommage particulier à notre leader actuel, l’honorable M. Asselin, le représentant de Wellington qui occupait le poste de leader bien avant mon arrivée en cette Chambre, puisque je suis arrivé en 1952 et qu’il est là depuis 1946 je crois. Il est doté d’une formation juridique peu commune. C’est un homme affable et d’une délicatesse extrême. Je lui dis un gros merci, d’abord, de m’avoir toujours honoré de son amitié et aussi d’avoir bien voulu, depuis un tiers de siècle déjà, mettre ses talents exceptionnels et son expérience au service des siens.

L’histoire le placera, j’en suis convaincu, parmi les grands hommes qui ont bien servi leur pays. J’ajouterai aussi mes remerciements à l’honorable leader de l’Opposition, M. Marier, qui a joué, ici et ailleurs, un rôle très utile. C’est un grand légiste, que la province regrettera, s’il décide de se retirer de la vie publique. Un merci aussi à chacun des membres de cette Chambre qui siègent d’un côté ou de l’autre, car tous — je l’espère, du moins — m’ont honoré de leur amitié et, l’avouerai-je, ce sentiment était réciproque.

Merci au personnel du Conseil, lequel a toujours montré beaucoup d’empressement et de loyauté dans l’accomplissement de sa tâche. Demain, la vie continuera. Le rouleau compresseur qui abrège chaque jour chacune de nos vies personnelles continuera sa marche impitoyable jusqu’à ce que chacun de nous repose dans le cimetière paroissial à côté de ceux qui nous ont précédés. L’histoire nous jugera. Aurons-nous rempli notre tâche adéquatement et en temps utile ? En d’autres mots, aurons-nous fait quotidiennement notre devoir ?

Qui donc a écrit cette belle phrase que j’aime toujours à rappeler? « Entre le passé où sont nos souvenirs et le futur où sont nos espoirs, il y a le présent où sont nos devoirs ». Il s’agit, comme tout le monde le sait, de l’historien français Frédéric Ozanam. En effet, si nous voulons voir se réaliser nos plus chers espoirs, mes- sieurs, il importe que chacun de nous accomplisse, à présent et toujours, son devoir.

Vous, jeunes gens, jeunes hommes et jeunes femmes, c’est à vous qu’il incombe de relever le défi qui se pose à un peuple qui n’a jamais capitulé devant les difficultés. Le Québec est fondé, II existe. Il a commencé sa marche ascendante vers les sommets, mais il reste a le rendre encore plus stable, plus uni et plus prospère. Il reste à créer cet esprit de fraternité qui fait les peuples forts. Il reste à implanter solidement dans le cœur de chaque citoyen qui habite la province, à quelque race, à quelque religion qu’il appartienne, cet amour que nous devons avoir tous les uns pour les autres. Il reste à rétablir ce climat de respect pour l’autorité légitime à tous les paliers. Il reste à replacer Dieu à la tête de nos familles, de nos paroisses, de nos mouvements sociaux et économiques. Il reste à continuer avec calme, mais aussi avec acharnement, la lutte contre les envahisseurs fédéraux de toutes couleurs qui cherchent à nous absorber.

Il reste, il reste, et que sais-je encore…

Vous, adolescents et adolescentes, jeunes gens et jeunes filles; vous, jeunes papas et jeunes mamans, c’est à vous que nous pensons, nous, les membres de cette Chambre, quand nous attachons tant d’importance à la protection de nos droits. Pour rien au monde nous ne devons permettre que des démagogues, des exaltés, des révolutionnaires, avoués ou déguisés, soient un jour à même de torpiller, de ruiner et de saccager ce que nos ancêtres ont édifié dans les sueurs, les larmes et parfois même dans le sang. Vous connaîtrez probablement des jours difficiles. Vous aurez à lutter pour conserver votre langue et vos droits. N’oubliez jamais, jeunes gens, que le succès n’est que le fruit du travail et de la ténacité et que ce succès est d’autant plus noble, plus glorieux que les luttes que nous avons eu à soutenir pour l’obtenir ont été difficiles.

Jeunesse de ma province, faiblirez-vous à la tâche, permettrez-vous que le drapeau fleurdelisé qui est le nôtre soit traîné dans la fange, ce drapeau que nous, vos aînés, avons toujours tenu d’une main ferme et vigoureuse avec tant de fierté ? Je vous en prie avancez-vous en rangs serrés, venez cueillir de nos mains, parfois devenues tremblantes, ce drapeau immaculé qui renferme dans ses plis nos espoirs, nos aspirations et qui est en même temps le symbole de nos droits. Avec fierté, arrachez-le, ce drapeau, des mains de ceux qui cherchent à le flétrir. Honnis soient les révoltés ! Honnis soient ceux qui cherchent à remplacer le droit par la force ! Honnis soient ceux qui ne veulent reconnaître aucune autorité ni temporelle, ni spirituelle ! Jeunesse de ma province, vos aînés comptent sur vous pour continuer à bâtir, à agrandir et notre province et notre pays que nous aimons tous.

Quant à moi, j’ai pleinement confiance en vous. Je compte sur vous et je sens que je ne serai pas déçu. Vous montrerez de la fierté, de la vaillance et au besoin de l’héroïsme. Pour ma part, c’est avec fierté que je retournerai à la vie privée, et je considérerai toujours comme un grand honneur d’avoir siégé pendant de nombreuses années au Conseil législatif de ma province.

Je me propose, à partir de ce jour, de me tenir disponible et prêt à servir, toujours, mon Dieu, ma province et mon pays. Plus que jamais je veux m’intéresser au sort de mes semblables et selon le mot à jamais célèbre de notre regretté premier ministre monsieur Johnson, « je serai plus humain ». Je fais miennes ces belles paroles que j’emprunte à notre hymne national : « Parmi les races étrangères, notre guide c’est la loi. Sachons être un peuple de frères, sous le joug de la foi. »

Vive le Christ! Vive le Québec! Vive le Canada!

« Je voudrais juste souligner, si l’on me le permet, que c’est d’assez mauvaise augure pour la population, vous savez, que le Conseil législatif s’éteigne un vendredi 13. Pour les superstitieux, ça va être bien dur. Pour ma part, je ne suis pas bien superstitieux mais quand même je constate que même la nature pleure ce matin. Je pense que c’est une perte pour la province et j’ai bien peur qu’on vienne nous demander de revenir siéger l’année prochaine, et nous dire: Nous allons arranger tout ça. Il faudra que nous nous en reparlions. » — Patrice Tardif, Débats du Conseil législatif, 13 décembre 1968

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Danièle Bernardon
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