Je me souviens de cette soirée du 3 juin 2000, durant laquelle j’assistais à la représentation de la “Symphonie du millénaire”, co-dirigée par mon cousin éloigné, le pédagogue, chef d’orchestre et compositeur Denys Bouliane, lui-même descendant de Jean-Marc de Bouillanne (1716-1796)*. Cet événement unique eut lieu devant l’Oratoire Saint-Joseph sur le parvis duquel se réunirent plus de 70 000 spectateurs. Une œuvre collective de 19 compositeurs pour 333 musiciens, 2000 carillonneurs, 15 clochers, grand orgue, un carillon de 56 cloches et deux camions de pompiers.
Imaginez la scène: le 3 juin 2000, au coucher du soleil, près de 2500 interprètes attaquèrent les premières notes d’une méga symphonie de 90 minutes. Littéralement enveloppé par le son de 15 clochers et de 15 ensembles répartis sur le site de l’Oratoire, le public a assisté à la première mondiale d’une œuvre écrite par 19 compositeurs.
Un peu comme si vous étiez au centre d’un gigantesque instrument de musique, l’amplification des ensembles créa un champ sonore enveloppant et uniforme en «toupartouphonie». Le site fût transformé en une scène de 1 kilomètre carré pouvant accueillir plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Basée sur le thème grégorien du Veni Creator, la Symphonie du millénaire (Prix Opus Événement musical de l’année, 1999-2000) est ponctuée par les plus grands appels de cloches que l’on puisse imaginer: 2000 carillonneurs agitèrent leur cloche à des moments précis de l’œuvre, dirigés par 5 chefs; 15 clochers montréalais préenregistrés ont chacun été attribués à un compositeur et se trouvaient ainsi intégrés à la partition. Et s’ajoutent à cela le carillon de 56 cloches de l’Oratoire et les cloches de 2 camions de pompiers des années 20 et 50.
Les carillonneurs, qui n’avaient besoin d’aucune formation musicale, étaient assis au centre du site et faisaient résonner leur cloche à travers tout le pays par l’entremise de la Chaîne culturelle de Radio-Canada. Les cloches des carillonneurs ont été coulées par la Fonderie Obertino en France, elles sont en bronze, gravées et numérotées.
Le soir du 3 juin 2000, ils étaient tous là pour vous faire vibrer à l’unisson: L’Arsenal à musique, Codes d’accès, Chants Libres, l’Ensemble contemporain de Montréal, Les Idées heureuses, I Musici, Musica Camerata, le Nouvel Ensemble Moderne, l’Orchestre symphonique de Montréal, les Petits chanteurs du Mont-Royal, Productions SuperMémé-SuperMusique, le Quatuor Molinari, la Société de musique contemporaine du Québec, le Studio de musique ancienne de Montréal, sans compter les grandes orgues de l’Oratoire et les membres de la Musique du Royal 22e Régiment en tenue d’apparat déambulant sur le site.
L’extrait ci-haut de la Symphonie du millénaire est constitué de 3 segments qui s’enchaînent : 1) Prélude (tutti): Tous les compositeurs et ensembles (Jeu du « Cadavre exquis ») ca: 5 min. 2) Un weekend au Purgatoire (Danièle Dubé orgue solo) composé par Jean Lesage ca: 3 min 25 sec. 3) Purgatoire I (Codes d’accès) composé par Estelle Lemire ca: 1 min 25 sec.
Walter Boudreau et Denys Bouliane, directeurs artistiques
L’idée originale de ce projet inouï appartient à Walter Boudreau, directeur artistique de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) qui, il y a quelques dizaines d’années avait imaginé cette aventure, assis sur la montagne en contemplant la ville et ses clochers aux petites heures du matin…
C’est au compositeur Denys Bouliane qu’il s’est associé, en tant que co-directeur artistique, pour donner forme à son rêve. Ensemble, ils ont réuni une équipe de 19 compositeurs qu’ils ont dirigée dans les méandres d’une partition qu’interprétèrent les ensembles de tous les horizons, tant de musique ancienne que de musique classique et contemporaine.
Infatigables promoteurs de l’avant-garde musicale d’ici et d’ailleurs, Walter Boudreau et Denys Bouliane cumulent une solide expérience dans l’organisation de concerts. Boudreau a contribué à organiser ceux de l’Infonie avant de concevoir ceux de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), dont il est le chef attitré depuis 1988. Quant à Denys Bouliane, il partage son temps de musique nouvelle de Cologne (KGNM) ainsi qu’un ensemble exclusivement voué à l’interprétation de sa musique, l’Ensemble Série B. Ici, il a fondé les Rencontres de musique nouvelle du Domaine Forget et il dirige les destinées de l’Ensemble de musique contemporaine de l’Université McGill. Le duo était responsable de la coordination artistique du festival Musiques au présent qui s’est tenu ces trois dernières années dans la Vieille capitale à l’instigation de l’Orchestre symphonique de Québec. On n’a donc pas affaire aux premiers venus et c’est tant mieux, parce que la réalisation de la Symphonie du millénaire demandait certes beaucoup.
Certainement l’événement musical le plus important de l’an 2000 en Amérique du Nord, la Symphonie du millénaire était une célébration grandiose, un moment unique où ont été réunies les forces vives du milieu en un moment de communion ultime, en ce lieu hautement symbolique qui constitue l’un des sites les plus remarquables du patrimoine montréalais.
RÉFÉRENCES :
- Société de musique contemporaine du Québec : Symphonie du millénaire (SMCQ).
- Pratiques urbaines : La symphonie du millénaire. esse arts + opinions, 23 septembre 2019.
- Anne Robineau : Les nouvelles stratégies sociales des artistes contemporains dans l’utilisation du sacré: le cas de la Symphonie du Millénaire. Stratégies sociales des groupes religieux, sous la direction de Martin Geoffroy et Jean-Guy Vaillancourt. Religiologiques, 22, automne 2000, 85-99.
- TVA Nouvelles : La Symphonie du millénaire fait vibrer l’Oratoire. Publié le 3 juin 2000.
- Marc Chénard : La Symphonie du millénaire. Un opus pour le début des temps 1er volet: le défi musical. La Scena Musicale – Vol. 5, No. 8, mai 2000, pp. 12-15.
- Dominique Olivier : La Symphonie du millénaire: Le temps des cathédrales. Voir, 24 mai 2000.